Histoire de voir … histoires au pluriel
24 octobre 2023 à 13h00 au 24 octobre 2025 à 14h00Hommage Flora Tristan 1844-2024
14 novembre à 11h00 au 12h00
Robert Merle Fortune de France etc.
Robert Merle Fortune de France etc. Aujourd’hui nous parlerons tout à la fois de littérature et puis d’un personnage revenu indirectement sur le devant de la scène et qui a beaucoup compté pour ma propre culture personnelle, éveillé ma curiosité historique. Nombreux parmi vous le connaissent et l’ont apprécié. Une émission d’Historie de voir … histories au pluriel lui est consacrée.
Mort en 2004, il revient sur le devant de l’actualité grâce à une saga historique et familiale : “Fortune de France“. 13 volumes qui nous plongent au cœur de la France des Guerres de religion au XVIe siècle. Cette saga est divisée en deux parties: les six premiers tomes sont relatés par Pierre de Siorac le père, les sept suivants par le fils Pierre Emmanuel. Commencé en 1977 la saga “Fortune de France” s’est achevée à la mort de l’écrivain.
C’est le propre des livres de Robert Merle, centrés sur l’Histoire. Ainsi “Fortune de France“ met en scène des personnages de fiction, inspirée de faits et de personnages réels ce l’a fait comparé comme auteur à Alexandre Dumas, dans la veine d’autres écrivains historiques.
Cette saga de Fortune de France se déroule dans une France troublée, celle des Guerres de religion qui succédaient aux périodes dites des Frondes remettant en cause le Pouvoir royal affaibli par les guerres et l’on comprend mieux pourquoi Louis XIV installa une monarchie absolutiste, afin de museler toute opposition face aux désordres et guerres civiles sanglantes qui ravagèrent le royaume.
Dans cette série et souvent dans ses autres romans, dont on parlera plus tard, Robert Merle, met en scène un petit groupe d’hommes et de femmes qui vont dans un univers, un environnement très hostile tenter de survivre.
Ici dans ce premier roman “Fortune de France“, qui donne le titre de la saga, ils luttent avec leurs idées nouvelles, influencés par le Renaissance et surtout l’accès au Livre, au singulier et au pluriel, à la science qui mettent en cause les idées religieuses, les croyances, les pouvoirs de l’époque.
Robert Merle même si, dans ses écrits, distille un point de vue de son siècle, insiste beaucoup tant sur la forme que sur le fond à dessiner les cheminements des idées à travers ses personnages et leur époque. Époque pour le moins paternaliste ou les femmes n’ont aucun droit par exemple et ou le système féodal et inquisitorial règne sans partage. Autre tour de force de son écriture et d’avoir remis au goût du jour des expressions, des mots que le langage courant a oubliés.
Son – Lully Une noce de village 0’53
“Fortune de France” le film d’après les romans de Robert Merle
Pour en revenir au feuilleton présenté sur l’A2, disponible en replay, vous y retrouverez l’acteur Nicolas Duvauchel qui interprète Pierre de Siorac, Lucie Debay sa compagne, et Guillaume Bouix le frère d’armes. Réalisé par Christopher Thomson, le film ne trahit pas le roman. Je vous invite à relire ou à lire, tant par l’écriture que par les expressions, un style moderne et rythmé qui vous immerge dans la période ou vivent nos héros.
Le film a été tourné dans le Périgord. On y retrouve des lieux, des châteaux ou des églises qui nous sont familiers comme le château de Fénelon qui recrée le château de la famille Siorac, le château de Mespech, celui des Bories sans oublier le château de Beynac qui recrée le château du baron de Fontenac, et ceux de Biron, Marzac, de Commarque, le village troglodytique de La Madeleine, la chapelle des Pénitents Bleus, le prieuré de Merlande, l’église de Saint-Léon-sur-Vézère, les Cabanes du Breuil etc….
Bref le décor est toujours en place, la bonne nouvelle c’est qu’il y aura une suite les équipes de tournages y travaillent déjà.
Son – Branle de village anonyme
Pour ceux qui ne pourrait attendre la suite de la série “Fortune de France“ ; je les invite à le lire ou relire les tomes suivants car la plume de l’auteur, son travail d’historien, et son écriture mêlant des mots anciens à son style très rythmé, cause une véritable immersion dans ce siècle si agité.
Je le disais plus haut, beaucoup de mots, d’expressions anciennes se trouvent dans ce roman. Par exemple le mot branle, utilisé encore aujourd’hui dans des sens différents de l’époque. Vous allez me dire un peu trivialement : « on s’en branle de tout ça » …. et si ça continue après avoir « branlé du chef », on va lancer le « branle-bas de combat » ….
Je maintiens, c’est un mot qui provient de l’ancien français brandeler (« agiter, secouer »), issu de brant (« fer de l’épée, grosse épée »), lui-même issu du germanique brand (« tison »), → voir brandir et brandon.
Un mot que l’on retrouve aussi une chanson écrite par Jean Baptiste Clément en 1871 à Paris où il combattait pour la Commune de Paris, chantée sur l’air du Chant des Paysans de Pierre Dupont : Son « La semaine sanglante ou ça branle dans le manche ».
Et l’on arrive aussi aux branles, dont nous avons passé plus haut des morceaux. La première est de Lully, musicien du Roi, car on le sait Louis XIV adorait lui même la danse, lui succède une branle de village d’un auteur anonyme, populaire en Europe populaires ces danses collectives, remontent à la fin du Moyen Âge et sont toujours pratiquées de nos jours dans certaines régions. Les danseurs forment un rond, parfois une chaîne, se tiennent généralement par la main et balancent les bras au tempo de la danse.
Ecoutons la troisième branle ; Son «la marche pour cérémonie des Turcs» de Jean-Baptiste Lully. Créée en 1670, elle est extraite de la comédie-ballet «Le bourgeois gentilhomme» pour laquelle il collabore avec Molière.
Une bio de Robert Merle et de son oeuvre
L’Histoire nourrit l’ensemble de son œuvre. Il est né en 1908 à Tébessa situé en Algérie, dans une famille où le père militaire est décédé quand il y avait six ans, plaçant la famille dans la pauvreté. Brillant élève, il est titulaire d’une licence de philosophie, agrégé d’anglais (reçu premier au concours), il consacre sa thèse de doctorat ès lettres à Oscar Wilde, un personnage qui l’accompagne tout au long de sa vie. Il devient professeur dans différents lycées de province comme à Bordeaux, Marseille et rejoint Paris où il fait la connaissance de Jean-Paul Sartre, professeur de philosophie à Neuilly.
Mobilisé en 39, il devient agent de liaison avec les forces britanniques. Il est fait prisonnier à Dunkerque (libéré en 1943). Cette expérience lui servira de matière pour son livre pour son livre « Week-end à Zuydcoote ». L’ouvrage est publié en 1949, et reçoit le Prix Goncourt la même année. Un succès littéraire porté à l’écran en 1964 par Henri Verneuil.
Du 28 mai au 3 juin durant la bataille dite de Dunkerque sous les bombardements allemands les troupes françaises et britanniques sont massées sur les plages de Zuydcoote, en attendant leur embarquement pour l’Angleterre. Le jeune sergent chef Jean-Paul Belmondo rencontre Jeanne une jeune femme jouée par Catherine Spaak, retranchée dans sa maison qu’elle veut absolument préserver.
On est toujours dans la même logique des livres de de Robert Merle, un groupe de personnes face à un environnement hostile, là c’est la guerre et comment ces gens vont pouvoir faire société faceà cette hostilité. On y retrouve des acteurs, bien sur Jean-Paul Belmondo mais l’inénarrable Jean-Pierre Marielle, Marie Dubois, François Perrier et Pierre Mondy.
La bande annonce : vidéo Week-end à Zuydcoote –
Le livre fait scandale ; le curé Zuydcoote brûla le livre en public, tout en interdisant à la mercière du village de le vendre. Il mène sa propre enquête pour savoir quelles étaient les femmes qui avaient servi de modèle à l’écrivain. Le bûcher n’était pas loin …..
Robert Merle a publié son premier roman à 40 ans. Il en publiera 23 autres. La plupart seront adaptés au cinéma ou à la télévision comme Fortune de France, on vient de le voir. C’est un auteur prolixe. En plus de ses romans, il est traducteur anglais français, auteur de pièces de théâtre et écrit de nombreuses biographies (Che Guevara, Fidel Castro ….).
Ses romans ont pour toile de fond l’Histoire. Il y porte un regard critique, réflectif et humaniste sur la société, se questionne sur la science, ses limites, s’engage pour la décolonisation, est très attentif à l’écologie.
Son deuxième succès littéraire, il le doit un ouvrage de référence publié en 1952, c’est « La mort est mon métier », nous en parlerons plus bas là aussi un film sera adapté aussi au cinéma en 1970.
Il s’agit de la vie réelle du commandant SS du camp d’Auschwitz, Rudolf Hoss. Le livre se base sur les documents du procès de Nuremberg, mais aussi du témoignage de ce nazi qui explique froidement la mise au point de cette usine de la mort, sans aucun état d’âme, ni repentir. Cet homme est le responsable de l’extermination de centaines de milliers de juifs. On pense à Hannah Arendt bien sûr, qui écrit 10 ans après sur le procès Eichman, « la banalité du mal ». Les assassins sont bien des hommes ordinaires.
Malevil de Robert Merle
Un autre ouvrage important de mon point de vue est “Malevil“. Publié en 1972, on peut le qualifier d’ouvrage fantastique de science-fiction en sous titre après l’explosion nucléaire comment survivre ?
Là encore, on retrouve un petit groupe de compagnons, des miraculés rescapés de cette catastrophe qui doivent faire face à cette situation inédite, d’abord entre eux puis confrontés à d’autres survivants. Leur choix sociétal repose sur une société de partage, pastorale, égalitaire qui s’oppose à d’autres groupes qui lui développent des conceptions autoritaires et genrées. Comme dans Fortune de France, l’action se situe dans le Périgord, où l’on retrouve la protection des châteaux et tous leurs mystères.
En 1981, une adaptation cinématographique de Christian de Chalonge, s’écarte à la fin du livre. Robert Merle ne l’accepte pas et refuse de figurer comme coscénariste. On y retrouve Michel Serrault, Jacques Dutronc, Jacques Villeret et Jean-Louis Trintignant.
Vidéo Malvil de Christian de Chalonge Son – Gabriel Yared – Malevil (Prélude à la Pluie)
Un autre téléfilm réalisé pour FR3 par Denis Malleval a lui aussi a été tourné en 2013 en Aveyron. On y retrouve entre autres comme actrice Anémone.
Autres livres de Robert Merle
Parmi les autres livres on ne peut oublier « l’Île » publié en 1962, qui s’inspire des révoltés du Bounty. Cinq ans plus tard ce sera « un animal doué de raison » ; un roman de science politique-fiction basé sur ce qui sépare l’homme de l’animal. Le livre lui aussi est adapté en 1973 au cinéma par Mike Nichols sous le titre “Le jour du dauphin ».
Son – Georges Deleru Le jour du dauphin https://youtu.be/H8B-L8BseTQ
En 1970 « Derrière la vitre » raconte au moment de 68, son point de vue,ses souvenirs de professeur à l’université de Nanterre.
En 1989 sortie du livre « Le propre de l’homme » un sujet qui s’appuie sur la base des faits réels, sur le défi d’un scientifique qui élève en famille un chimpanzé, pour lui apprendre la langue des signes et prouver ainsi son intelligence.
On arrêtera la liste à laquelle on devrait ajouter de nombreuses biographies, traductions, des pièces de théâtre etc.
Pour ce troisième volet sur Robert Merle, je vous propose de revenir au livre « La mort est mon métier ». Qui mieux que l’auteur pour en parler !
Un extrait d’une Radioscopie de Jacques Chancel de 1989.
La mort est mon métier
Préface à la réédition de 1972, du livre, écrite par Robert Merle signé du 27 avril 1972
« Il y a bien des façons de tourner le dos à la vérité. On peut se réfugier dans le racisme et dire : les hommes qui ont fait cela étaient des Allemands. On peut aussi en appeler à la métaphysique et s’écrier avec horreur, comme un prêtre que j’ai connu : « Mais c’est le démon ! Mais c’est le Mal !... ». Je préfère penser, quant à moi, que tout devient possible dans une société dont les actes ne sont plus contrôlés par l’opinion populaire. Dès lors, le meurtre peut bien lui apparaître comme la solution la plus rapide à ses problèmes. Ce qui est affreux et nous donne de l’espèce humaine une opinion désolée, c’est que, pour mener à bien ses desseins, une société de ce type trouve invariablement les instruments zélés de ses crimes. C’est un de ces hommes que j’ai voulu décrire dans La Mort est mon Métier. Qu’on ne s’y trompe pas : Rudolf Lang n’était pas un sadique. Le sadisme a fleuri dans les camps de la mort, mais à l’échelon subalterne. Plus haut, il fallait un équipement psychique très différent. Il y eut sous le nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang, moraux à l’intérieur de l’immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs « mérites » portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l’impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l’ordre, par respect pour l’Etat. Bref, en homme de devoir : et c’est en cela justement qu’il est monstrueux. »
À propos du livre de Robert Merle, “La mort est mon métier”
A la lecture de ce livre, on pense bien sûr à Hannah Arendt la “banalité du mal”, un concept qui décrit la manière dont des personnes ordinaires peuvent commettre des actes terribles et inhumains sans réfléchir à leurs conséquences morales ou éthiques. Arendt a développé cette idée en observant le procès d’Adolf Eichmann, responsable de la logistique de la déportation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, dans son livre Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal.
Extrait d’une interview de Robert Merle en 1989 dans l’émission Radioscopie de Jacques Chancel
Hannah Arendt est une philosophe américaine respectée. Juive et d’origine allemande, elle a fui l’Allemagne nazie en 1933. À sa demande, en 1961, elle est envoyée à Jérusalem par le New Yorker pour assister au procès d’Adolf Eichmann, criminel de guerre nazi responsable de la déportation de millions de Juifs. un film dramatique biographique franco-allemand coécrit et réalisé par Margarethe von Trotta, sorti en 2012.
Ecoutons l’extrait du film Hannah Arendt et la banalité du mal
Hannah Arendt a souligné que la “banalité du mal” n’était pas spécifique à Eichmann ou à l’Holocauste, mais qu’elle pouvait être observée dans de nombreux contextes où des individus commettent des actes immoraux sans réfléchir à leurs conséquences. Elle a appelé à une réflexion sur la manière dont la société peut prévenir de tels comportements, en encourageant la réflexion critique et la prise de responsabilité personnelle.
« Pas besoin d’être le diable pour être capable du pire, il suffit de répondre aux ordres sans réfléchir. »
Il est donc intéressant de noter que Robert Merle dix ans auparavant dans la mort est mon métier se posait lui aussi cette question, certes sous une forme romanesque mais non moins conséquente.
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