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Grèves de Limoges de 1905, chroniques des luttes ouvrières

Grèves de Limoges de 1905, chronique d’un soulèvement 

Après une première chronique en septembre dernier dans notre émission Histoire de voir … histoires au pluriel, notre rendez vous hebdomadaire tous les mardis de 13 à 14h sur la clé des Ondes, sur la grève de la moustache de 1907, une grève construite et menée par la jeune CGT, et particulièrement bien suivie par les garçons, serveurs et domestiques afin d’obtenir les améliorations de leur conditions sociales mais aussi d’imposer à travers cette lutte sociale l’affirmation de la liberté de disposer de leurs corps.

Nous vous proposons avec Anne-Françoise, une nouvelle chronique sur la grève des porcelainiers de Limoges de 1905 à Limoges. Elle aurait pu et du figurer dans notre ouvrage sur « les Révoltes Populaires en Aquitaine, du Moyen Age à nos jours », de par sa force, sa durée et la mobilisation populaire autour du conflit qui ne manquait pas d’originalité et de modernité. .

Depuis la loi du 25 mai 1864, la grève des travailleurs est tolérée et n’est plus considérée comme un délit. Au début de l’année 1905, il en est une qui sera importante par sa longueur. Celle des sabotiers de Bourg en Bresse durera deux mois (77 jours). On y reviendra dans une autre chronique 

Grèves de Limoges 1905

Grèves de Limoges 1905, les faits

La ville est le lieu de violentes émeutes, suite à une grève déclenchée par les ouvriers porcelainiers des manufactures de la ville. A l’origine de l’affaire, un directeur d’atelier accusé de violences sexuelles sur des ouvrières et couvert par son patron d’origine américaine Théodore Havilland (1842-1919) bien que d’origine religieuse quaker, est surtout préoccupé avant tout de « paix sociale. »

On désignait le viol par l’expression “grief de nature spéciale et délicate”, perçu dans cette affaire comme un retour du droit de cuissage par les ouvrières et qui sera le facteur déclenchant de ces émeutes. .

C’était plus d’un siècle avant metoo.

A l’époque, le péril révolutionnaire est considéré comme une menace réelle par la classe politique conservatrice. La République est installée mais déstabilisé par les lois qu’elle promulgue la même année sur la séparation de l’Église et de l’État, avec les frondes organisées par les catholiques.

Le 27 avril 1905, le journal conservateur Le Matin prend parti contre Théodore Havilland, directeur d’usine de porcelaine à Limoges, pour avoir soutenu son directeur d’atelier M Penaud, impliqué dans une affaire d’abus sexuel :

« Livrer aux chefs la chair des femmes et des filles : ce droit fait-il partie de l’autorité patronale dont M. Havilland s’est montré si jaloux et l’avait-il déléguée à son contremaître ? Fallait-il que tout le patronat se solidarisât pour couvrir de son autorité la résurrection des mœurs légendaires attribuées aux seigneurs féodaux ? M. Havilland et les patrons qui ont uni leur résistance à la sienne ont si bien fait que la responsabilité des abominables désordres de Limoges est retombée sur eux et que le rétablissement de l’ordre a ressemblé à une défaite patronale. Que ce triste exemple serve de leçon aux autres. Dans les revendications ouvrières, il y a un mélange de justice et de violence, de droits humains et d’instinct sauvage. Il appartient aux bons patrons de distinguer les uns des autres, et de retirer toute cause légitime à la guerre sociale. Les mauvais patrons, infatués d’une autorité dont ils abusent, servent plus efficacement la cause de la révolution que les pires meneurs. »
Henri des Houx “L’orgueil homicide”, 
Le Matin, 27 avril 1905

 La révolte est telle que la presse ira jusqu’à parler de « guerre civile ». Limoges, c’est la « Ville rouge »  « capitale révolutionnaire » ou de « Rome du socialisme »: si la couleur évoque celle de ses fours à porcelaine, le surnom fait surtout référence au très fort ancrage à gauche de la capitale du Limousin. 

23 septembre 1895 fondation de la CGT 

Le mouvement ouvrier n’a en effet cessé de s’y développer tout au long du XIXe siècle (on parlera à son sujet de « Rome du socialisme »), avant de culminer lors de la révolte de 1905.

Le saviez vous La CGT est créée à Limoges Le Congrès constitutif de la confédération générale du travail CGT y est organisé du 23 au 28 septembre 1895. Les principaux piliers en sont la fédération du livre et celle des cheminots et la Fédération des Bourses du Travail. Voir archives CGT

En 1895, à la veille du congrès constitutif, des grèves s’organisent déjà, dont celle des corsetières : en juin, les 105 ouvrières de la Maison Clément à Limoges contestent les méthodes de leur direction : elle leur impose en effet la prière à genoux à leur arrivée à l’usine, sous peine de sanctions.
La grève dure 108 jours. Plusieurs corsetières seront invitées à l’ouverture du congrès constitutif de la CGT le 21 septembre.

Grèves de Limoges 1905, une chronologie du soulèvement

Le 27 mars,

Trois peintres sur porcelaine de l’usine Haviland sont renvoyés puis réintégrés. Ils s’étaient plaints du « droit de cuissage » exigé par Penaud, un directeur d’atelier, sur les ouvrières : le patron avait défendu l’accusé. La grève éclate dans plusieurs entreprises de la ville. Issus de secteurs différents (porcelaine, chaussures, imprimerie…), les ouvriers limousins s’unissent pour protester contre les pouvoirs autoritaires des contremaîtres, ces derniers cristallisant la colère des grévistes. Ils s’insurgent aussi contre les bas salaires

le 4 avril, le journal La France écrit  :

« L’industrie limousine est en pleine crise ; chaque jour une grève nouvelle éclate. À l’usine de porcelaines Théodore Haviland, les peintres ont quitté le travail […]. La fabrique de chaussures Fougeras est fermée depuis un mois […]. Les ouvriers de la fabrique de chaussures Lecointe ont abandonné leurs ateliers […]. Les manifestations ses succèdent. Des groupes nombreux chantent « L’Internationale » et des refrains révolutionnaires. »

Le 5 avril, les patrons porcelainiers décident le lock-out : les usines sont fermées et les ouvriers renvoyés. 13 000 personnes se retrouvent au chômage. Le ton monte et les ouvriers manifestent en masse, formant des cortèges à travers toute la ville, tandis que le maire radical-socialiste Émile Labussière tente de concilier les parties.

L’envoyé spécial du journal le Matin raconte :?

« Les patrons se sont inquiétés ; ils ont compris le danger de ces grèves partielles, dont la solidarité ouvrière assurerait toujours la réussite, les ouvriers de corporations qui n’ont point de motif d’abandonner le travail soutenant pécuniairement les camarades d’une autre corporation en grève. À la solidarité ouvrière, ils ont opposé la solidarité patronale. »

Le 15 avril, un millier de manifestants envahit les usines Havilland, l’une Charles Havilland avenue Garibaldi, l’autre Théodore de Havilland, place des Tabacs. Une bombe explose devant le domicile d’un directeur, l’automobile de Théodore Havilland est incendiée. Les grévistes remplace le drapeau américain par le drapeau rouge qui flotte sur ces usines (rappelons que ces deux patrons sont américains fils du fondateur David HAVILLAND (1814-1879), qui s’installe à Limoges et créée en 1842 sa manufacture. Olivia de Haviland la plus française des actrices américaines comme le disait Ciné Monde à l’époque, Olivia la Marianne, la compagne d’Errol Flynn dans Robin des bois est de la famille.

Le maire radical-socialiste Émile Labussière impuissant (volontairement ou pas), est dessaisi par le préfet qui fait intervenir l’infanterie et les chasseurs à cheval. Des barricades sont dressées, des armureries sont pillées, des arrestations ont lieu : tout Limoges est dans la rue, y compris les femmes et les enfants.

 La presse nationale ne parle plus que des manifestations. Certains journaux s’effrayent, tels L’Union nationale qui parle de la « bande de Limoges » ou le journal d’extrême-droite La Libre Parole, qui titre « La Révolution à Limoges »Le Matin ira jusqu’à parler de « guerre civile ». 

Le 16 avril, dans son édito La Lanterne défend les ouvriers :

« Les ouvriers de Limoges […] luttent pour quelque chose de plus sacré que leurs intérêts économiques ; ils luttent pour les droits les plus incontestables de l’homme et du citoyen […]. En leur payant un salaire sur lequel il prélève d’ailleurs un bénéfice exorbitant, le patron acquiert le droit de traiter ses ouvriers comme des bêtes de somme. Pas de justice, pas d’égards : le maître ou son valet peuvent tout se permettre ; ils peuvent abuser de leur autorité pour violenter la conscience des ouvriers, pour offenser leur dignité d’hommes ; ils peuvent user de brutalité et d’arbitraire, imposer au personnel de l’usine leurs caprices et leurs fantaisies et congédier qui leur déplaît. »

Le 17 Avril,

Un cortège formé par la CGT se rend à la préfecture pour réclamer la libération des grévistes emprisonnés. Suite au refus du préfet, les émeutiers enfoncent les portes de la prison départementale (place du champ de foire) et défoncent l’entrée.

Le général Plazanet fait alors charger les dragons. La foule se réfugie dans le jardin d’Orsay. Des jets de pierres ont lieu : les fantassins ouvrent le feu.

Camille Vardelle, un ouvrier de 22 ans, est tué. De nombreux ouvriers sont blessés.

19 avril « Lendemain de massacre »,titre L’Humanité du :« La répression s’est affirmée d’une façon sauvage ; il fallait que cette ville si profondément émue, si douloureusement éprouvée déjà par la misère, eût aussi ses deuils, qu’aux larmes d’angoisse vinssent se joindre les larmes de souffrance. Le prétexte fut facile à trouver. »

Les funérailles de Camille Vardelle sont suivies par des dizaines de milliers de personnes. Jean Jaurès prononce un discours à l’Assemblée Nationale dans lequel il prend fait et cause pour les grévistes et rappel les faits et l’origine du mouvement social, intervention publié dans l’Humanité  :

« Comment ! Le préfet savait que cette grève avait un caractère singulier, qu’elle n’avait pour cause ni une revendication de salaires, ni la durée des heures de travail, et cela a suffi au préfet pour dire que le grève ne procède que du caprice et de la fantaisie. Il y avait pourtant une question de dignité morale en jeu et ce pays serait singulièrement abaissé si la classe ouvrière comme les autres classes n’avait pas conscience de cette dignité. »

Le 21 avril

Le travail reprendra dans la porcelaine le 21 avril, après la conclusion d’un accord entre patrons et ouvriers. Le contremaître Penaud est renvoyé, les grévistes sont réembauchés, mais les salaires ne sont pas augmentés.  Le mouvement se poursuivra un temps dans d’autres secteurs comme à la couperie de poils de lapins Beaulieu rue d’Auzette, les ouvriers bloquant l’usine et son patron. …. Le mouvement s’éteindra, la République de l’Ordre aura une fois de plus défait la République sociale. En punition, les festivités du 14 juillet, défilé et bals populaires seront interdits.

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Article réalisé avec l’aide de Wiki rouge, extraits d’articles de Rétro news, archives de la CGT et la BD 1905, le printemps rouge de Limoges de Vincent Brousse

Pour les musiques un clin d’œil au chanteur à Marc Ogeret qui a fait vivre ces chansons populaires et de luttes ouvrières et nous a quitté le 4 juin 2018 à l’âge de 86 ans ici article du Monde

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