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La cuisine sous clé

Invité au salon Atxik de Saint Pée sur Nivelle au Pays Basque, un salon des vins et des livres de résistances pour y présenter nos livres sur les « révoltes populaires en Aquitaine du Moyen Age à nos jours » et sur les gilets jaunes « de la valse des ronds points au cahiers de la colère », nous y avons rencontré un personnage, qui incarne cet esprit de révolte populaire et d’aspiration à la démocratie pour ceux d’en bas et contre l’oppression. Son combat s’inscrit dans l’histoire du peuple basque et comme chacun le sait tout est politique, il nous parlera de son livre la «  La cuisine sous clé  » avec comme sous titre Recettes de cuisine d’un prisonnier politique basque et autres considérations.

Et puis nous parlerons d’une femme remarquable Eva Forest, espagnole d’origine catalane, militante anti franquiste, féministe, médecin psychiatre, écrivaine, éditrice qui a pris fait et cause pour le combat de l’indépendance basque et est un peu aussi à l’origine de ce livre.

La cuisine sous clé : Recettes de cuisine d’un prisonnier politique basque et autres considérations

Basque ETA leader Josu Ternera, on September 1, 2021. (Photo by JOEL SAGET / AFP)

Pendant 50 ans, Josu Urrutikoetxea dit Josu « Ternera » pseudo que lui a attribué la police, a appartenu à l’organisation séparatiste basque Euskadi ta Askatasuna (ETA).  Ex numéro 1 du mouvement, c’est lui, qui en 2018, a annoncé sa dissolution et la fin de la lutte armée.

Aujourd’hui, âgé de 74 ans, nous avons rencontré Josu lors du salon du livre Atxiki organisé à Saint Pée sur Nivelle lors du dernier week-end Pascal, pour la sortie de son livre « La cuisine sous clé » Recettes de cuisine d’un prisonnier politique basque et autres considérations paru en février dernier aux éditions Syllepse.

Difficile de parler cuisine sans revenir au parcours militant de Josu et de son implication dans une organisation que certains qualifient de terroriste, d’autres de branche armée du mouvement de Libération national basque. L’ETA est créée en 1959 pour lutter contre le régime et l’état franquiste, pour l’indépendance, les libertés démocratiques et le socialisme au Pays Basque.

Ce n’est pas à nous de le juger et de choisir un qualificatif. Une chose est sûre, le parcours de ce militant internationaliste, défenseur de l’indépendance, de la culture et de la gastronomie basque ne peut laisser indifférent.

Nous écoutons chers auditeurs et auditrices de la Clé des Ondes, un des acteurs majeurs de ce conflit qui nous parle tout à la fois de son engagement, de son implication dans le mouvement basque, de cuisine, car comme la musique et la langue, elles ont été et sont de tout temps un des traits de résistances du peuple basque .

Hasard ou nécessité 1 ?

L’entretien a lieu le jour ou les basques célèbrent l’Aberri Eguna, qui signifie le “Jour de la Patrie” en basque. Cette journée est une célébration du nationalisme basque fêtée traditionnellement chaque dimanche de Pâques, dans toute la Communauté autonome basque et la Navarre, ainsi qu’en Iparralde.

L’occasion pour Josu de revenir sur l’origine du nationalisme, mouvement dont sont issus plusieurs branches et l’ETA.

Bien obligé de parler de son parcours (17 années de clandestinité, 12 ans de prison), un des principaux négociateurs du processus de paix pour mettre fin à la guerre au Pays Basque, négociation menée entre l’ETA, l’Espagne et la France sous contrôle international à la fin du XXè siècle et qui de par la volonté des états n’a pas abouti.

Ce fut donc Josu Urrutikoetxea dénommé par la police Josu « Ternera », élu député au Parlement basque, qui fut la voix de l’ETA, et qui annonça la décision politique unilatérale de la fin du recours à la lutte armée en 2018.

Il est toujours en but à des poursuites judiciaires, emprisonnement et menaces d’expulsions pour lui comme pour des dizaines de militants de l’organisation, emprisonnés sans volonté d’amnistie en vue, en Espagne et en France, comme le deux avril dernier ou étaient jugés Jean-Noël Etcheverry et Béatrice Molle pour avoir transporté et possédé, en décembre 2016, des armes de l’organisation indépendantiste qu’ils avaient l’intention de détruire. Leur action avait permis de relancer le processus de paix. Une peine de 2 ans et un an avec sursis à été réclamée par le juge ….

La cuisine sous clé au menu

Revenons à l’objet du livre dont le titre, vous commencez à le comprendre, est un bon résumé de la vie de Josu : « La cuisine sous clé », paru en février dernier aux éditions Syllepse.

Ami de la gastronomie basque, vous y trouverez des recettes, des produits de la mer, soupe de poisson, pâté, flan etc , des recettes de légumes, bien sur le gazpacho ainsi qu’un curieux soufflé de courgettes ou un croustillant au riz et champignons.

Et puis les tapas introduisent les recettes de tartes, l’accommodation de poissons, de volailles des viandes, des légumes, sans oublier les sauces et pour lier tout cela les recettes de la fabrication de son pain. Enfin on passe aux desserts inspirés du monde entier, la fabrication des confitures pour les dimanches matins d’hiver et en été celle des glaces.

En tout, 122 recettes basques et inspirées du monde entier pour nous rappeler la vocation internationaliste de l’ETA, sa solidarité avec les luttes des peuples opprimés, colonisés ou occupés.

Un ouvrage qui se veut un manifeste à la vie, à la résistance, titre d’ailleurs de la préface « l’esprit de résistance » écrite par Gerry Adams.

Pour les plus jeunes, Gerry Adams responsable de l’IRA, élu député du Sinn Féin fut lui aussi l’artisan principal du processus de paix en Irlande du nord. Il a publié un livre comme Josu consacré à la « Peas progress, the négociators Cookbook » ou la cuisine des négociateurs, un jeu de mot entre « peas » qui veut dire pois, et « peace » pour la Paix ».

Il n’est pas si paradoxal en effet que ces deux résistants Basques et Irlandais qui dans leur combat pour beaucoup aient eu recours à la grève de la faim dédient tout à la fois aux prisonniers leurs conditions de vie et comment autour d’ateliers, la gastronomie a et permet de conserver les liens d’humanité, fraternels moments d’échanges, de transmission de savoirs populaires monde.

Le livre « La cuisine sous clé » a été édité une première fois en 1996 à la demande d’Eva Forest, elle-même victime des geôles de Franco dans le début des années 70.

En fin d’une vie ce criminel, alors que la jeunesse et la gauche espagnole relevaient la tête, ce moribond haineux, initiateur de massacre de dizaines de milliers de victimes espagnoles, cause de centaines de milliers d’exils, pendant et après la Guerre civile, est pour les basques, responsable du bombardement de Guernica.

Franco au crépuscule de sa vie garrottait 2 de jeunes résistants nous pensons ici au camarade Puig Antich, ce qui déclenche des manifestations gigantesques de solidarité dans le Monde.

Oui nous avons crié dans les rues en 1974 après l’attentat de l’ETA contre le dauphin du dictateur :

« Et hop Franco, plus haut que Carrero » mais aussi après la rafle contre les indépendantistes et l’arrestation d’Eva Forest, nous étions par milliers, à manifester avec ce slogan :

« Garmendia, Otaegui, Eva Forest, il faut les arracher des griffes de Franco ».

Eva Forest

Eva Forest, pseudonyme de Genoveva Forest i Tarrat, est née en 1928 à Barcelone. Elle s’engage très tôt dans la lutte contre le franquisme tout en continuant ses études de médecin psychiatre à l’Université de Madrid. Elle y rencontre son futur époux, Alfonso Sastre, un dramaturge, écrivain  espagnol antifranquiste lui aussi.

Pendant le procès de Burgos contre les militants de l’ETA, elle crée le Comité de solidarité avec l’Euskadi à Madrid, ce qui l’a lié pour toujours au Pays basque. Elle écrit le livre “Operación Ogro” , sous le pseudonyme de Julen Aguirre, dans lequel elle raconte l’attentat contre Luis Carrero Blanco et qui justifiera son arrestation pour appartenance à l’ETA. Elle fut arrêtée et emprisonnée et torturée en septembre 1974, dans la prison des femmes de Madrid.

À la suite de son jugement par un conseil de guerre et à de nombreuses manifestations plaidant en sa faveur, Eva Forest fut libérée le 1er Juin 1977.

Après sa libération, accompagnée de son mari et ses enfants, elle quitte le pays pour déménager à Fontarabie, en pays Basque, son pays de cœur où elle restera jusqu’à sa mort. Elle fonde la maison d’édition Hiru, dans les années 90,

C’est là ou elle propose à Josu Urrutikoetxea d’éditer le livre La cuisine sous clé….

Le 5 octobre 1975 : marche des femmes à Hendaye contre le franquisme

C’est une photo dans un journal des années 1970 : on y voit une foule de femmes portant des banderoles où l’on peut lire « Les sorcières sont en vie. L’inquisition se meurt ».

Nous sommes à Hendaye, à la frontière espagnole, en 1975, dans un contexte particulier d’exécutions des opposants au franquisme. Après le garrottage de Puig Antich en 1974, quatre militants de l’ETA sont à leur tour fusillés le 27 septembre 1975. Depuis quelques mois des pétitions circulent à Paris et en France suite à l’arrestation de plusieurs femmes militantes antifranquistes proches de l’ETA. Deux de celles-ci, Eva Forest et Lidia Falcon, écrivent des textes en prison qui sont publiés aux éditions des femmes en avril 1975 et seront de véritables succès éditoriaux.

Suite aux exécutions du 27 septembre, des groupes féministes décident d’organiser une marche des femmes à la frontière espagnole. On trouve parmi les appelantes : la tendance du MLF Psychanalyste et Politique – le même groupe qui s’occupe des éditions des femmes et d’un nouveau journal, Le Quotidien des femmes – , le MLAC (Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception), le mouvement pour le planning familial, les Pétroleuses (une tendance lutte de classes) et le GLIFE (Groupe de liaison et d’information femmes enfants).

En à peine trois jours, elles organisent le départ pour Hendaye et partent de nuit pour se retrouver à 10 heures du matin devant la frontière. Un millier de femmes s’opposent au franquisme, à l’emprisonnement et à l’exécution des opposant.e.s.

« Pour que la moitié du ciel ne soit plus renvoyée à l’enfer des sorcières »

Cette marche improvisée sera à la fois une marche de deuil, de chant et de colère. Parmi les témoignages publiés au retour, on peut lire :

« A Hendaye, beauté d’une manifestation où le deuil et la colère passent à travers le corps et la voix des femmes. Prends ta part d’histoire. Tu avanceras deux fois plus vite. Mille sont allées à Hendaye, depuis le fond le plus écrasé de l’histoire, le plus près possible de la vie et des morts, à la frontière. Mille pour toutes. Faire l’appel des morts, assassinés, toujours vivants et l’appel des vivants contre la mort ». 

Aux femmes, venues d’un peu partout pour cette marche, se sont jointes des femmes basques qui ont accompagné l’action et le sit-in devant les CRS avec leur chant :

« L’espoir étant présent dans les chants merveilleux d’une chanteuse basque qui nous a toutes liées dans le silence. »

Eva Forest ne sera libérée qu’en 1977. Elle se battra par la suite contre la torture. A sa mort, en 2007, ses enfants dispersent ses cendres à l’endroit du port d’Hendaye qui porte aujourd’hui son nom, quai Eva Forest.

Si vous y passez, n’oubliez pas : si l’inquisition n’en a jamais vraiment fini de mourir, les sorcières, elles, sont toujours en vie…

Isabelle Cambourakis Revue Silence n°444 – avril 2016 – (extraits)

1 Le Hasard et la Nécessité, est tiré d’une citation que Jacques Monod Prix Nobel de physiologie ou médecin en en 1965 emprunte à Démocrite : « Tout ce qui existe dans l’univers est le fruit du hasard et de la nécessité ». Le Hasard et la Nécessité — Wikipédia (wikipedia.org)

2 Le garrot a été utilisé en Espagne sans interruption jusqu’en 1932, abolie par la République, restaurée en octobre 1934, pour les crimes de terrorisme et de banditisme. Franco réintégra cette sanction dans le code criminel en 1938, au motif que son abolition n’était pas compatible avec le bon fonctionnement d’un État. Les dernières exécutions en Espagne furent celles de deux membres de l’ETA politico-militaire, et trois de FRAPfusillés le 27 septembre 1975, au milieu de fortes protestations internationales contre la dictature franquiste

 

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