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Origine du Jazz à Bordeaux : notre émission Histoire de voir… Histoires au pluriel c’est bien sûr l’histoire des luttes mais c’est aussi comme le titre de l’émission l’indique l’approche des phénomènes culturels qui sont en soi une histoire à travers cette grande histoire. 

 

Origine du jazz à Bordeaux 1917 : un précurseur le clown Chocolat

La “préhistoire” de ce courant musical commence tout d’abord pour nous par un salut à la mémoire de Rafaël Padilla dit le clown Chocolat, notre héros. Premier artiste noir né vers 1868 à La Havane et mort à Bordeaux en 1917, fils esclave lui-même, enfant abandonné en pleine guerre civile à Cuba, placé-vendu dans une ferme près de Bilbao et, par son talent, le goût des autres, son art de la danse, ses connaissances musicales, fut remarqué par un artiste circassien anglais de passage sur le port de Bilbao, le suivra et entamera une carrière de Clown à Paris, puis avec son compère Foottit, faisant de ces deux personnages des artistes de renommés, inventeurs de nombreuses sorties clownesques dans l’histoire du cirque.

Chocolat sera victime des préjugés racistes, mais il saura imposer son style, utilisant la danse dite du cake-walk introduisant ainsi de nouveaux rythmes à la scène du music-hall, rythmes qu’incarnera, avec tout son talent Joséphine Baker dans les années 20.

Il fait partie comme Edmond Dédé, des précurseurs, premiers artistes noirs qui ont apporté ces nouveaux rythmes, dès la fin du XIXe siècle. Musique entrainante, invitation à la danse, air joyeux, nouveaux instruments ou utilisés sur d’autres rythmes  aboutissant à ce que l’on appellera le jazz, mélange de traditions musicales en provenance aussi bien d’Europe que de l’Afrique de l’Ouest.

Edmond Dédé premières notes à Bordeaux

Avant Chocolat, un autre artiste noir a marqué la scène musicale à Bordeaux : Edmond Dédé musicien noir, libre et d’origine Haïtienne. Violoniste, compositeur, chef d’orchestre, (nous le présentons dans nos déambulations sur le clown chocolat à Bordeaux au temps de la Belle Époque) ; il , est né en 1829 à la Nouvelle-Orléans, et mort à Paris en 1901. Ne pouvait espérer faire carrière aux États-Unis vu les lois racistes (loi Jim Crow1), c’est tout naturellement qu’il émigre en France.

Premier engagement comme chef d’orchestre au théâtre de Bourges, il accepte un travail à Bordeaux, en attendant de monter à Paris. Bordeaux n’est pas une ville qui l’attire, pourtant il y fera carrière pendant trois décennies. La ville connaît depuis longtemps la présence américaine par ses liens historiques, ses échanges marchands, ses liaisons maritimes qui desservent les Antilles, la Nouvelle-Orléans ou New York. Comme tous les ports elle brasse les populations, les cultures, évidemment la musique, la danse, le port est un véritable creuset dans lequel Edmond Dédé brillera.

C’est ainsi qu’il dirige l’orchestre du Grand Théâtre de Bordeaux, tout en cachetonnant dans toutes les salles de spectacles, les café-concerts, devenant aussi le directeur du café le Delta Voltaire, puis de l’Alcazar à Bordeaux Bastide. En plus de l’animation et de la direction de ces salles, Edmond Dédé est un compositeur prolixe : six opéras, cinq opérettes, un opéra-comique, ainsi que des symphonies et des œuvres chorales :  « Françoise et tortillard »,« Cora la bordelaise » : 

Répétiteur au grand théâtre de Bordeaux, il écrit des musiques de ballet, « Nénaha, reine des fées » et « La Sensitive ». On lui doit 150 danses, 95 chansons, des musiques de ballets. En 1886 l’Artiste de Bordeaux, journal des spectacles note :

« il n’y a pas un seul habitant à Bordeaux qui ne connaît Edmond Dédé et ne l’ait écouté et applaudi. Plusieurs générations ont fredonné ses refrains les plus gais » 

Ses racines musicales plongent aussi bien dans l’apport mexicain, caribéen, européen, africain, tziganes, des sons, des rythmes qu’il arrange, transforme comme le présente cet article :

« Edmond Dédé , dont le nom et le talent sont absolument inconnus à Paris, est un artiste nègre qui s’est révélé à Bordeaux depuis une vingtaine d’années, une certaine situation comme compositeur et comme chef d’orchestre. Outre plusieurs opérettes données à l’Alcazar de cette ville comme : le voisin de Thérèse, il faut passer le pont, etc. Il a écrit la musique de ballets qui ont été représentés non sans succès au Grand théâtre ». Journal le Ménestrel 1886.

Le port de Bordeaux avec ses expositions coloniales, joue la carte de l’exotisme en attirant aux Quinconces des expos mettant faussement en scène des villages de l’Empire colonial reconstitués et bien évidemment déformés. Ce goût du public, ouvre aux salles de spectacles les rythmes dits « exotiques » comme les Garlands, groupe de 16 acteurs et actrices noirs, le danseur William Corbett, les Hamptons autant d’artistes afro-américains qui se produisent dans les salles comme l’Apollo théâtre en 1911 (actuel UGC), sans avoir à subir le racisme. Bordeaux qui est un port de voyageurs accueille de nombreuses troupes et artistes dans ses cafés-théâtres, permanents ou saisonniers comme les Folies bordelaises, les Bouffes bordelais, le Théâtre-Français, l’Alhambra, le Fémina, la Scala, le Casino des Lilas, les Trois chalets, le Casino des Quinconces.2

Naissance du jazz à la Nouvelle Orléans puis à Chicago. 

Comme on l’a dit plus haut, le jazz est un genre musical d’origine afro-américaine, né selon les musicologues à la fin du XIXè siècle. Il se distingue des autres styles de musique par ses rythmes et l’improvisation vocale dont il se sert souvent comme instrument à part entière. 

Les esclaves qui débarquent aux États-Unis emmènent avec eux leurs traditions musicales et instrumentales. On connaît les work songs chantés dans les plantations, les gospels songs dans les lieux de culte, le blues rural, ragtime et autre Cake-walk , musiques, danses et rythmes peu appréciés par la société raciste américaine, qui voit là la musique du diable. Aux instruments traditionnels, tambours, voix, corps, les musiciens noirs vont après la guerre de Sécession, s’approprier le piano, le banjo, les cuivres et les tambours qu’ils jouent dans les bars, beuglants, maisons closes et autres saloons, faisant de La Nouvelle-Orléans et son quartier de Storyville le berceau du jazz.

Le premier jazzman sera Charles « Buddy » Bolden ou Buddy Bolden, (1877-1931). Chef d’un groupe orchestral qui improvise sa musique. Il est le premier king de la trompette à la Nouvelle-Orléans , ouvrant le chemin au grand Louis Armstrong (1901-1971), qui a lui-même grandi à La Nouvelle-Orléans, dans un autre quartier lui aussi mal famé. 

En 1917, le quartier Storyville est fermé ce qui pousse les jazzmen, dont Louis Armstrong, à migrer jusqu’à Chicago. De nouveaux styles (tels que le boogie-woogie) voient le jour et le jazz va littéralement gagner en notoriété. C’est aussi l’année du premier enregistrement de jazz avec le groupe Original Dixieland Jazz Band.

Premières notes de Jazz à Bordeaux

Nous nous sommes inspirés de l’ouvrage « Histoire du jazz dans le sud-ouest de la Nouvelle-Orléans à la Nouvelle Aquitaine (1859 – 2019) », écrit par Emmanuelle Debur et Philippe Mézière, sorti aux éditions confluence octobre 2019. Mais aussi l’autre apport documentaire c’est l’exposition réalisée en 2017 pour le centenaire du débarquement des Américains à Bordeaux, exposition présentée au centre national Jean Moulin et qui met en avant l’importance et l’influence du débarquement de ses troupes principalement afro américaines qui pour des raisons toujours raciales ont été essentiellement utilisées pour la construction le développement des infrastructures portuaires comme à Bassens. C’est ainsi entre autres que la musique de jazz s’installera dans notre ville.3

On revient au clown Chocolat, lui qui avait popularisé le cake-walk, cette danse créée par les esclaves dans le Sud pour “singer” les réceptions des maîtres dans leurs plantations. 

Après une dernière représentation au cirque Rancy, malade, épuisé, il meurt le 4 novembre 1917. Imaginons Rafael Padilla qui lors de ce dernier voyage à son hôtel rue Saint Sernin, a pu entendre quelques airs ou notes des orchestres afro américains qui donnaient concert dans le café anglais des allées de Tourny. Il passait le relais à d’autres. 

Que le spectacle continue !

1917 un débarquement Afro américain à Bordeaux 

 

Déjà des volontaires américains se sont engagés pour défendre la France, la légion noire américaine, précédant l’arrivée du premier bateau de guerre qui amarre en 1917 à Bordeaux. Il s’agit du premier détachement de l’aviation américaine. D’autres villes comme la Rochelle, Gujan-Mestras, Arcachon et le Cap-Ferret voient l’arrivée des Alliés.

L’armée française a besoin de combattants et le général Pershing envoie la Ghost division composée de troupes noires en France ce qui amènera le major Little, chef de bataillon 369e régiment d’infanterie des États-Unis a résumé ainsi la situation :

« Le grand général américain à mis 1000 orphelins noirs dans un couffin, il l’a posé sur le pas de la porte du français, il a frappé et il est parti. »

 

Cela n’empêchera pas ce 369è régiment, d’être combattant et le premier régiment Allié à franchir le Rhin en 1918. Le chef de fanfare est l’officier James Reese Europe (parfois connu comme Jim Europe, 1880-1919). C’est un musicien, arrangeur, compositeur et chef d’orchestre afro-américain. Spécialiste du ragtime et de la musique populaire afro-américaine, c’est lui et son orchestre qui firent écouter le premier concert de jazz sur le sol français. Ce concert aura lieu à Nantes en février 1917 au théâtre Graslin ou une plaque le commémore. 

Le récital s’appuie sur des marches françaises et américaines et finit sur la chanson Memphis blues. On peut aussi constater que les musiciens jouent sous l’uniforme français pour ne pas mélanger les couleurs (?) dans les rangs de l’armée américaine.

Sur les docks et les quais de Bordeaux

A l’été 1917, la ville devient le quartier général de la base numéro 2 du corps expéditionnaire américain, chargé de la réception et de lorganisation de l’approvisionnement et du ravitaillement des troupes US. On imagine mal aujourd’hui l’impressionnant déploiement de matériel et d’hommes (plus de deux millions de soldats) auquel a donné lieu l’engagement américain en France.

Des camps de plusieurs centaines de baraquements, abritant parfois des salles pouvant accueillir 600 personnes comme le Victory Théâtre à Lormont-Génicart, ont été édifiés, la plupart en bois, un peu partout et notamment en Gironde. Ces camps de troupes noires dites les « stevedores » (manutentionnaires), surnommés aussi les « slaves bataillons » sont mis en place en Gironde (Cazaux, Courneau). Des hôpitaux de campagne de dimensions jusqu’alors inégalées furent édifiés autour de Bordeaux, à Mérignac-Beaudésert notamment, ou installés dans des bâtiments préexistants, comme le château Trompeloup à Pauillac, le Petit Lycée de Talence, etc.

A Bassens, les Américains font une des réalisations les plus remarquables de ce passage. Plusieurs centaines de mètres d’appontements, des dizaines de kilomètres de voie ferrée sont réalisés en quelques mois pour permettre aux navires provenant d’outre-Atlantique de débarquer le matériel et les approvisionnements nécessaires au déploiement des troupes. Ces installations rénovées ou modifiées depuis ont servi de base à la configuration actuelle des lieux. On y retrouve encore des graffitis de soldats américains, datés de 1918, gravés dans la pierre sur des piles de pont témoignant ainsi de leur présence.

Pendant leur temps libre, les soldats organisent des concerts. Un des premiers concerts dit de jazz est donné en mai 1918 par les hommes du 800è régiment d’infanterie sur les quais de Bordeaux. Le 4 juillet 1918, pour l’Indépendance Day, la retraite aux flambeaux, se déroule aux sons de la fanfare américaine 5

Fanfare du 369è d'infanterrie sous les ordres du lieutenant James Rees e Europe

Les musiciens de ces orchestres sont tous professionnels respectant à la lettre, plutôt à la note, leur partition, ne laissant pas de place à l’improvisation. Les bordelais sont captivés par le suraigu de la clarinette, le rugissement sourd du soubassophone, la complainte du trombone à coulisse etc.

En parallèle à ces fanfares militaires, cest l’explosion de petits groupes amateurs, qui vont populariser le ragtime instrumental en France. Leurs membres reproduisent à l’oreille des morceaux populaires du moment comme « Livery Stable Blues » de l’original Dixieland jazz-band enregistré en 1917, et considéré comme le premier titre de jazz, faisant la joie des bals et autres guinguettes bordelaises.

C’est en novembre 1918, que neuf soldats blanc d’un régiment de pionnier affecté au port de Marseille forment le Receiving Station Jazz Band. Le groupe compte une batterie, un trombone, de Cornets, une clarinette, un violon, un banjo, une guitare et une contrebasse : la base du groupe de jazz moderne.

 

Après l’armistice, les régiments noirs sont les derniers à rentrer aux États-Unis. Certains resteront en France jusqu’à l’automne 1919, participant à la reconstruction du pays ou enterrant les morts. Les Français sont très attirés par cette musique un peu folle initiée et popularisée par le passage de ces quelques centaines de musiciens afro-américains. Ils trouvèrent ainsi pour leur musique une seconde patrie, qui les accueillaient sans lois ségrégationnistes.6

Il y eut près de 180 mariages franco-américains à Bordeaux entre 1918 et 1920, ainsi que de nombreuses « adoptions » qui sont plutôt des parrainages d’orphelins français par des comités américains, tels que ceux de la Croix-Rouge Américaine. Sans le succès de leur musique militaire annonciatrice du jazz, la culture musicale américaine ne se serait pas implantée de la sorte en France. Ces petits groupes de musiciens noirs ont ouvert la porte et les oreilles à Sidney Bechet et la grande Joséphine Baker.

 

 

1 Les lois Jim Crow (Jim Crow Laws) sont des lois nationales et locales issues des Blacks codes imposant la ségrégation raciale aux États Unis dans les États du Sud de 1877 à 1964 pour entraver les Droits constitutionnels des Afro-Américains après la guerre de Sécession.

2 Café-concert et Music-hall de Paris à Bordeaux ed Musée d’Aquitaine 2004

3 https://www.sudouest.fr/gironde/Gradignan/1917-que-reste-t-il-du-premier-debarquement-americain-en-gironde-3296964.php

4 Pascal Blanchard un siècle d’immigration des Suds en France : le sud ouest, groupe de recherche ACHAC, 2010

5 les stevedores au camp de Bassens film Base section N°2 (Bordeaux, Rest camp scènes and amusement (1919

6 D’après Clément Thiery histoire, jazz, musique, Première Guerre mondiale

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