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Évènements associatifs

Paul Lafargue et Laura Marx de passage à Bordeaux

 

Il y a vraiment de quoi s’intéresser à la vie de Paul et de Laura Lafargue née Marx.

Nous écouter sur la Clé des Ondes dans Histoire de voir… histoires au pluriel  Tous les mercredis de 12h10 à 13 h nous lire sur notre site assopourquoipas.org

On lui doit l’idée de la réduction massive du temps de travail : Travailler moins pour travailler tous. Pour lui la journée de travail pourrait être limitée à trois heures sans diminuer la production. Réduire le temps de travail rendrait plus productif l’ouvrier. Mais cette diminution de la durée du travail n’a aucun sens si les travailleurs n’obtiennent pas une augmentation de leurs salaires. Ainsi, le Droit à la paresse est un des fruits de la pensée-Marx.

Philosophe et organisateur. En 1889, sous l’impulsion d’Engels, avec Guesde, Bebel, Liebknecht, 
Lafargue fonde l’Internationale ouvrière et décide de faire du 1er mai un jour de grève et de lutte pour la journée de huit heures. Face à l’internationale silencieuse des patrons, Lafargue veut faire vivre la phrase « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Il deviendra un des acteurs majeurs du 1er mai 1891 et son nom reste associé à la tragique fusillade de Fourmies.

Paul est né à Santiago de Cuba le 15 janvier 1842, il y a 180 ans cette année. Paul est le fruit de la créolisation. La famille Lafargue émigrée aux Antilles depuis le milieu du XVIIIe siècle, enrichie dans la culture du café en Haïti , ont, comme de nombreux Français après l’indépendance, quitté cette île et leurs plantations pour rejoindre Cuba.

Paul est petit-fils d’une grand-mère caraïbe, mulâtre par sa mère et bordelais de confession juive par son père. C’est donc tout naturellement que la famille Lafargue regagne la France et Bordeaux en 1851 pour permettre à Paul de poursuivre ses études.

« Le sang de trois races opprimées coule dans mes veines »

Paul, s’est marié à Laura Marx. Il sera journaliste, écrivain, activiste, député, continuateur et traducteur avec Laura de la pensée de Marx, un des fondateurs du parti socialiste (SFIO). Paul Lafargue est connu pour son livre le droit à la paresse.1

Qu’on ne s’y trompe pas si ce livre revenu à la mode grâce à Georges Moustaki chantant le droit à la paresse en 68, est tout sauf un livre sur le farniente. Inspiré des écrits de Marx, il nourrit une réflexion sur la notion du travail et l’exploitation ouvrière et du prolétariat en général et milite pour la réduction du temps de travail, un écrit de 1880 :

« Chacun a le droit d’employer librement le temps plutôt que d’en être l’esclave. En faisant croire aux ouvriers, à l’aide de l’Église, que la vie est travail, les capitalistes passent leur temps à voler celui des travailleurs. Ces derniers ne devraient pas réclamer le droit au travail – c’est une erreur masochiste selon Paul Lafargue -, mais le droit à la paresse. Car c’est la possibilité d’employer son temps à ne pas travailler qui est la plus injustement distribuée : les propriétaires peuvent s’y adonner de bien des manières quand les ouvriers triment en servant des machines. C’est l’«amour du travail» qui a causé les plus grandes misères à ceux qui n’ont rien. Ils sont devenus entièrement dépendants du travail qui corrompt l’intelligence et les organismes, qui tue «toutes les plus belles facultés», »

Selon lui, la finalité du socialisme sera de répartir le travail et la paresse sans distinction sociale.

« A chacun d’employer son temps selon ses besoins. » 

Le droit à la paresse est paru d’abord en feuilleton dans le journal l’Égalité en 1881, C’est d’ailleurs lors d’e sa première incarcération à la prison de Sainte Pélagie que Paul Lafargue futur député de Lille, écrit le livre qui sortira en 1883, livre qui entamera ainsi une carrière internationale. Leur itinéraire de militants internationalistes, leurs rencontres avec les dirigeants, les fondateurs de la pensée socialiste, d’abord Proudhon, puis Marx, Engels, Auguste Blanqui, Jaurès et enfin Jules Guesde avec lequel il fonda le Parti Ouvrier français et la SFIO.

Paul et Laura, amants éternels, accompliront leur conception militantes jusque dans leur mort en se suicidant l’année de leurs 70 ans s, « sain de corps et d’esprit » selon les termes de son testament, pour ne pas subir le joug de « l’impitoyable vieillesse » qui prive progressivement l’homme de ses forces intellectuelles et physiques, le mettant à la charge de sa famille ou de la société. Leurs figures attachantes et entières ont marqué l’histoire et accompagnées les combats du mouvement ouvrier. Paul et Laura ont sût jusqu’au bout, gérer le temps qui leur était compté.

 

Les obsèques de Paul et Laura Lafargue au Père-Lachaise réunirent près de 20 000 personnes. ne dizaine de discours furent prononcés par les leaders socialistes venus de toute l’Europe. Au nom du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (nom officiel du parti bolchevique), Lénine qui eurent des liens d’amitiés avec le couple Lafargue lut un long discours en français :

 

« Tous les sociales-démocrates de Russie ont appris à estimer profondément Lafargue comme l’un des propagateurs les plus doués et les plus profonds du marxisme, dont les idées ont été brillamment confirmées par l’expérience de la lutte des classes dans la Révolution et la Contre-révolution russes … »

 

Généalogie d’un militant

Issu d’une famille française installée à Cuba depuis le XVIIIe siècle2, Paul Lafargue, est né à Santiago-de-Cuba le 15 janvier 1842 d’un père Bordelais de confession juive, d’une mère mulâtre cubaine et d’une grand-mère caraïbe. La famille revient en 1851 à Bordeaux, où Paul fera ses études obtenant  son baccalauréat en 1861 à Toulouse. 

Il combat l’Empire, fréquente Proudhon et collabore à La Rive gauche fondée par Charles Longuet (son futur beau-frère) en 1864. Il fit un voyage à Londres, en février 1865, au cours duquel il rencontra Marx, puis participa, en octobre 1865, au premier congrès international d’étudiants, à Liège, dont il fut un des organisateurs. Pour avoir demandé,  le 29 octobre :

“ la suppression des rubans aux couleurs nationales et l’adoption d’une seule couleur, la couleur rouge.

il fut exclu à vie de l’Université de Paris et pour deux ans de toutes les universités de l’Empire. Il appartenait alors à la loge l’Avenir.

Il se réfugia en Angleterre où il acheva, en juillet 1868, ses études médicales, devient le secrétaire de Marx, puis son gendre en épousant sa fille Laura.

Militant révolutionnaire, écrivain, voyageur, il porte avec sa femme les combats du socialisme. En 1880 paraît Le Droit à la paresse, chanté par Georges Moustaki, un ouvrage qui, loin d’être folklorique, démythifie le travail et son statut de valeur. Un livre revenu au goût du jour après 1968 :

« Travaillez, travaillez prolétaires, pour agrandir la fortune sociale et vos misères individuelles, travaillez, travaillez pour que, devenant plus pauvres, vous ayez plus de raisons de travailler et d’être misérables. Telle est la loi inexorable de la production capitaliste. »

En 1896, Laura Marx-Lafargue hérite d’une partie de la fortune de Friedrich Engels. Paul et Laura achètent une propriété à Draveil, d’où il rédige régulièrement des éditoriaux pour L’Humanité.  En 1911, proche de la limite d’âge de soixante-dix ans qu’il s’était fixée, Paul se suicide (avec Laura  par injection d’acide cyanhydrique), en se justifiant dans une courte lettre :

« Sain de corps et d’esprit, je me tue avant que l’impitoyable vieillesse qui m’enlève un à un les plaisirs et les joies de l’existence et qui me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi et aux autres. »

Paul et Laura Lafargue sont enterrés au cimetière du Père-Lachaise à Paris (division 76), face au Mur des Fédérés .

Généalogie 

Marié le 2 avril 1868, London, Greater London, England, United Kingdom, avec Jenny Laura Marx 1846-1911 dont

    •   Charles Etienne (“Schnapps”) Lafargue 1868-1872
    •   Jenny (“Schnapine”) Lafargue 1870-1882
    •   Marc-Laurent Lafargue 1871-1872 Né en mars 1871 Décédé le 26 juillet 1871 – Luchon (Languedoc), à l’âge de 4 moisPère François LAFARGUE, né le 14 avril 1806 (lundi) – Santiago de Cuba, décédé le 13 novembre 1870 (dimanche) – Bordeaux, 33 à l’âge de 64 ans,  Tonnelier
    • Mère Virginie d’Armagnac (il n’y a aucune trace de Virginie d’Armagnac. A t’elle quitté la France à la mort de son mari pour retrouver leur maison de la Noouvelle Orleans aucune trace du côté généalogique.). Son attitude vis à vis de son fils est ambigu. Nul n’est prophète en son pays dit on. Voir le témoignage de fin d’article. 

La Commune à Bordeaux4

La libéralisation politique de la fin de la dictature impériale offre un paysage politique bordelais quadripolaire : un bloc de la droite dure (bonapartiste et royalistes), un bloc de droite et centre droit (républicains modérés), un bloc de centre gauche modéré et, enfin, un petit bloc pluriel d’extrême gauche.

Des réunions publiques se multiplient depuis 1868, et le plébiscite du 8 mai 1870 5 rassemble à Bordeaux 65,5% de votes hostiles (mais la Gironde reste fidèle à Napoléon). Aux élections municipales d’août, la droite est battue et Émile Fourcand (1819-1881) est élu au centre gauche. Cet ex-président du tribunal de commerce proclame la IIIe République le 4 septembre 1870, crée une Garde nationale dans la lignée de la Révolution française pour maintenir l’ordre, l’armée étant mobilisée contre la Prusse.6

Des courants populaires, animés par les délégués des cercles ouvriers, employés, petits bourgeois et par les membres de l’AIT, se mobilisent en faveur d’une république sociale.

Le 7 septembre, Paul Lafargue lance un appel dans Le Républicain de la Gironde, 1792, 1848, 1870 :

« Républicains de la Gironde unissons-nous, constituons solidement notre parti et cette jeune République, entourée de traîtres qui la caressent et la flattent, cette République, notre amour et notre idéal, sortira victorieuse des malheurs de l’heure présente. » 7

En octobre, il annonce à Marx la constitution d’un comité de l’AIT, logé au numéro 3 rue des Menuts.

Le 1er janvier 1871, le ministre de la Guerre Léon Gambetta est reçu avec enthousiasme sur l’actuelle Place de la République par les Bordelais décidés à poursuivre le combat. Le gouvernement de Défense nationale se replie à Bordeaux, pour la première fois capitale provisoire de la France. Pour valider le traité de paix préliminaire signé à Versailles par Adolphe Thiers le 28 janvier, Bismarck, impose l’élection d’une Assemblée nationale ; les législatives ont eu lieu le 8 février8 Leur principal enjeu n’est pas la nature institutionnelle du régime, mais l’acceptation ou le rejet de la paix avec l’Allemagne. Conservateurs, monarchistes (légitimistes et orléanistes) et républicains modérés sont favorables à la paix pour mieux assurer le retour à l’ordre et aux affaires.

Le 12 février, l’Assemblée nationale se réunit au Grand Théâtre de Bordeaux. Émile Zola campe le décor :

« Imaginez une chapelle ardente ; on entre là à deux heures, avec du soleil plein les yeux, et l’on tombe dans une salle éclairée par trois lustres. En bas, les banquettes rouges ; sur la scène, dont le rideau est levé, une tribune et une estrade tendues de draperies pourpres, au milieu d’un décor de salon. C’est là que la France va être exécutée. On cherche le bourreau dans les coins d’ombre. Aux galeries, dans les loges, beaucoup de dames, un public de première. Les mains gantées tiennent des lorgnettes. »9

Brochure sur les révoltes populaires à Bordeaux (5 € en vente auprès de assopourquoipas33@gmail.com)

 

Le 17 février l’Assemblée nomme Thiers « chef du pouvoir exécutif de la République française […] en attendant qu’il soit statué sur les institutions ». Louis Blanc, Victor Hugo, Edgar Quinet, Jean-Baptiste Millières et le jeune Georges Clémenceau prennent la défense de l’Alsace et de la Lorraine. Le dénouement a lieu le 28 février lorsque Thiers fait adopter par 546 voix pour, 107 contre, le diktat de Bismarck :

  • Cession de l’Alsace, de Metz et de la Moselle,
  • versement en trois ans de cinq milliards de francs d’indemnités, avec occupation prussienne d’une partie du pays pour en garantir le paiement.

Au cours de cette session bordelaise agitée, Victor Hugo, qui défend le droit de siéger du député Garibaldi dont l’élection a été invalidée, reste intransigeant sur la défense de la République. Il déclare  :

«  L’Assemblée est une chambre introuvable, nous y sommes dans la proportion de 50 contre 700. Ils ont refusé d’entendre Garibaldi, qui s’en est allé. Nous pensons, Louis Blanc, Victor Schoelcher et moi, que nous finirons, nous aussi, par là. La sympathie de la ville pour moi est énorme. Je suis populaire dans la rue et impopulaire dans l’Assemblée. C’est bon. »

Le 10 mars, Adolphe Thiers scelle avec les monarchistes le «  pacte de Bordeaux » et fait adopter par l’Assemblée son transfert à Versailles. Le 11 mars, l’Assemblée nationale retrouve la capitale, puis se réfugie à Versailles dès l’insurrection du 18 mars à Paris. 10

Après le départ de l’Assemblée, dans une lettre transmise à sa belle sœur Jenny Marx, Paul Lafargue écrit :

« Bordeaux a repris son calme et sa placidité depuis le départ de nos honorables ruraux, cela au grand désespoir de nos restaurateurs et hôteliers qui faisaient leur beurre des malheurs de Paris. »

D’après le Maitron, Dès 1866 (cf. lettre de Marx à Engels du 24 mars), Lafargue était entré au conseil général de l’Internationale comme représentant de l’Espagne dont il parlait la langue. Ces fonctions demeurèrent les siennes après les 2e et 3e congrès (Lausanne 1867, Bruxelles 1868). Il avait adhéré également à la branche française AIT de Londres, mais il l’abandonna assez vite (cf. lettre de Marx à Engels, 4 août 1868). Ses luttes parisiennes, sa formation scientifique, le milieu londonien et les contacts internationaux qu’il lui ménageait firent que Lafargue abandonna peu à peu son proudhonisme originel.

On ne peut dire cependant qu’il ait parfaitement assimilé le marxisme. Engels le reprit souvent — cf. Correspondance — et, pour ne prendre qu’un exemple, Lafargue se laissa un temps séduire par le boulangisme, “ véritable mouvement populaire pouvant revêtir, selon lui, une forme socialiste si on le laisse se développer librement ” (Cf. lettre du 27 mai 1888).
Reçu docteur en médecine, Lafargue songea à s’installer en Amérique, puis y renonça et exerça à Londres. Au début de 1870, il vint à Paris avec sa femme et chercha à obtenir l’équivalence de son grade. Il fréquenta les Internationaux parisiens et appartint à la section de Vaugirard de l’AIT et signa le texte 
le Plébiscite et la Libre Pensée (voir Louis, Joseph, Henri Place).

Paul Lafargue et Laura Marx pendant la Commune à Paris et Bordeaux

La maison de Paul et Laura Lafargue à Levallois est réquisitionnée lorsque la guerre éclate en 1870. Elle est située sur la zone de tir des fortifs…  Ils partent pour Bordeaux où ils arrivèrent le 2 septembre 1870, pour s’installer dans la maison prêté par le père, François Lafargue au 56 rue Naujac.  Paul Lafargue fonda un éphémère journal, La Défense nationale, puis, du 6 au 19 avril (selon Testut, cf. rapport Arch. P Po), fin avril-début mai (selon Lafargue, l’Égalité, 17 décembre 1882), séjourna à Paris du 6 au 19 avril (Marx reprendra ses observations dans la Guerre civile en France). 

À Bordeaux, Lafargue écrivit dans la Fédération, organe de la section bordelaise de l’Internationale — voir Dargance — et appartint à la section de l’Internationale dont il était même le secrétaire-correspondant, selon La Tribune du 1er mars 1871. Il fut des vingt et un membres de l’AIT — candidats aux élections municipales du 30 avril 1871 à Bordeaux — figurant sur une liste comprenant en outre quinze membres du Comité d’émancipation communale, toute la liste “ adoptant dans son entier le programme de la Commune de Paris ” (Arch. P Po B a/439 et Arch. Dép. Gironde, série M, Police générale, 1868-1875). 

La situation devenant critique, Lafargue s’enfuit à Saint-Gaudens, en mai. Fin juillet, il était à Luchon (Haute-Garonne), tout près de la frontière espagnole, avec sa femme et les deux sœurs de celle-ci. Le 26 juillet, mourut, âgé de quelques mois, le troisième enfant des Lafargue qui avaient déjà perdu, en janvier 1870, une petite fille de trois mois ; leur fils aîné, Étienne, né en décembre 1868, mourra en Espagne en mai 1872.

 

Au début d’août, suivi de sa femme et de son fils, Lafargue passa en Espagne. Ses deux belles-sœurs, un moment arrêtées, furent relâchées. Photo l'Humanité 1911

Arrêté à Huesca, le 11 août, à la demande du gouvernement Thiers, Lafargue fut relâché le 21, l’extradition ayant été refusée. aprèsÀ partir de novembre 1871, il put rétablir le contact avec Engels et, le 24 décembre, il était à Madrid où, comme délégué du Conseil général, il eut pleins pouvoirs pour l’Espagne. Il travailla avec Mora et Pablo Iglesias, créa avec eux La Emancipacion, organe de l’AIT à Madrid, et lutta contre l’influence très forte de Bakounine. Il fit un voyage à Lisbonne, puis, sous le nom de Pablo Farga, il participa au congrès annuel de la Fédération espagnole à Saragosse (4-11 avril 1872). Il y connut un demi-échec. Au congrès suivant, à Cordoue, 15 décembre 1872-2 janvier 1873, ce fut un échec complet.

Exclu le 9 juin 1872 par la Fédération de Madrid, Lafargue créa avec quelques amis la Nouvelle Fédération madrilène qui ne joua pas grand rôle sur le champ, mais fut l’amorce du futur Parti socialiste espagnol.11

Anecdotes bordelaises12

2022 01 12 Paul et Laura Lafargue enregistrement Histoire de voir Une déposition anonyme sur le comportement de Paul Lafargue13

L’an 1871, le 19 juillet.

Devant nous, premier président de la cour d’appel de Bordeaux, délégué par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, s’est présenté, sur notre invitation, une personne très honorable de cette ville et de nom parfaitement connue, laquelle a dit avoir à nous faire des déclarations d’une certaine importance en nous exprimant en même temps le désir de n’être point nommé pour des motifs qu’elle nous a expliqués et que nous avons trouvé plausibles. Après avoir reçu de nouveau la promesse qu’elle ne saurait être désignée, elle a déposé ainsi qu’il suit :

« Je connais parfaitement Paul Lafargue, membre de l’Internationale, et gendre de Karl Marx, son fondateur, j’étais l’ami intime de son père, François Lafargue, décédé en novembre dernier à Bordeaux, et de sa mère, Madame Virginie d’Armagnac épouse Lafargue ; Celle-ci est une simple et digne femme comme son mari était un homme de la plus complète honorabilité. Paul a toujours fait par sa conduite le désespoir de ses parents et son père est mort de chagrin qui lui a causé – assez dernier moment il me disait un jour : Vous avez dit souvent que les mauvaises fréquentations avaient perdu mon fils : vous vous trompez mon amie ; c’est lui au contraire qui a entraîné tout ce qu’il a approché.

Comme son père, colons d’origine française, Paul Lafargue aujourd’hui âgé de 29 ans, est né à Saint Jago de Cuba. Mais il était fort jeune. Lorsqu’il est revenu à Bordeaux avec ses parents. Il a fait ses études chez M. Royer – Micé, instituteur de cette ville, et s’est fait recevoir bachelier ès lettres à Toulouse ; puis il est allé à Paris commencé ses études pharmaceutiques chez M. Touzac, pharmacien rue Montorgueil , 67.

Il abandonna bientôt cette direction pour se livrer à des études médicales et prit des inscriptions à la faculté de Paris, mais il fut du nombre des étudiants qui se rendirent à la réunion de Liège, et prononça un discours des plus subversifs, où il attaquait la société, la propriété, l’existence de Dieu, et se trouva compris par suite parmi les étudiants auxquels la fréquentation des facultés de Paris fut interdite. Son père l’envoya alors à Londres pour y continuer les études médicales qu’il ne pouvait plus suivre à Paris. Il venait alors de faire la connaissance de Tony Moilin, depuis membre de la Commune de Paris et récemment mort de ses blessures. Ce fut celui-ci qui, pendant le séjour de trois ans que fit Paul Lafargue en Angleterre, le mit en rapport avec Karl Marx, son ami. Ces relations devinrent intimées et au bout de très peu de temps Lafargue épousa Laura, la fille aînée de mars. Deux enfants sont nés de ce mariage il revint à Paris en 68 ou 69, ce fut autorisé à passer à Strasbourg ses examens de médecine, mais n’a jamais profité de l’autorisation. »

Au commencement de la guerre, Paul Lafargue reparu à Bordeaux, avec sa femme et son premier enfant, et prit domicile chez son père, rue Naujac, au 56. Il y resta jusqu’à la fin du premier siège par les Prussiens. C’est dans cet intervalle que mourut François Lafargue père, laissant une fortune environ 100 000 F à son fils dont le mariage n’avait aucunement augmenté les ressources. Le 6 avril, Paul Lafargue parti pour Paris, laissant sa femme et son enfant dans la maison de la rue Naujac dont sa mère lui avait abandonné la jouissance pour se retirer dans un appartement de la rue Caussan, toute vie commune avec son fils lui étend devenue pénible.

A son retour, qui eut lieu le 19 du même mois, ainsi que l’indiquent les lettres publiées par lui dans le journal La tribune, il montrait une grande exaltation et proclamer les plus complètes espérances pour le succès définitif de la Commune de Paris :

« Je suis bien content, s’écriait-il devant sa mère, les affaires vont très bien là-bas et nos projets vont enfin réussir !

J’en suis bien aise est-ce puisque je vous vois satisfait.

comment dites-vous cela, vous avez l’air de me narguer, mais vous pleurerez toutes les larmes de votre corps, car le moment arrive où tous ceux qui possèdent devront rendre gorge. Il faut que tout se nivelle et que bourgeois ou riches, tous ces gens-là disparaissent.

mais vous savez bien pourtant que nous n’avons volé personne et que votre père a gagné honnêtement sa fortune,

c’est égal, pour restituer l’aurait comme les autres, il le faut. »14

Quant la situation de la Commune de Paris sembla désespérée et la résistance près de son terme, Paul Lafargue, qui avait joué un rôle assez actif dans les élections municipales bordelaises et figuré sur la liste communale au nombre des candidats de l’Internationale, jugea prudent de quitter Bordeaux. 

Il partit précipitamment avec sa femme et ses deux belles-sœurs qui étaient venues le rejoindre et se rendit d’abord Saint Gaudens où il resta huit jours, précisément au moment où on n’y arrêta plusieurs membres de l’internationale qui cherchait à passer en Espagne, puis à Luchon où il doit être encore actuellement.

Sa mère n’a pris son départ qu’en voyant devant la porte de la maison un omnibus du chemin de fer et en questionnant les voisins. Elle fit alors visiter la maison par le colleur de papier (tapissier) dont on pourra peut-être savoir le nom afin de vérifier les réparations qui pouvaient être nécessaires. Elle vit sur une cheminée des objets d’une forme singulière et d’un usage inconnu. Elle allait y porter la main lorsque le tapissier l’arrêta en lui disant :

« Prenez garde, n’y touchez pas, ce sont des bombes qui ont été oubliées. »

Madame Lafargue mais dont la crainte que la découverte de pareils engins de compromettre son fils, fit alors on fit faire un trou dans la cour de la maison et enterra, au nombre d’une douzaine environ, ces objets un peu moins gros que le point, ayant une sorte de culot métallique et dont la partie supérieure était fortement liée et serrée par une cordelette.

En partant Saint Gaudens et Luchon, Paul Lafargue avait écrit à sa mère une lettre qu’elle reçue après son départ, et dans laquelle il lui recommandait de lui expédier, à une adresse qui serait ultérieurement indiquée, plusieurs caisses laissées par lui dans la maison. Par prudence Madame Lafargue fit ouvrir ses caisses qui contenaient des livres, beaucoup de journaux, des papiers dont j’ignore la nature et du linge.

Pendant les séjours de Paul Lafargue à Bordeaux, il y avait des correspondances très actives et des échanges de journaux entre lui et son beau-père, Karl Marx, auquel ces lettres étaient adressées à Londres sous le nom de Sir Williams.

Après son dernier départ et le lendemain, des lettres sont arrivées entre les mains de Madame Lafargue mais, à laquelle l’une semblait adressée. Elle l’ouvrit et reconnut qui elle était en réalité destinée à Madame Paul Lafargue. Un nommé Guillaumette, qui demeure aux Chartrons, écrivait à celle-ci que la quincaillerie d’Angleterre allait arriver et qu’il convenait de se procurer certain documents pour obtenir une passe.

Nous avons supposé que cette quincaillerie ne pouvait être que des fusils. L’autre lettre, également ouverte par Madame Lafargue mais, venait de Paris à l’adresse de Paul Lafargue lui-même on lui demandait envoyer du bois et du charbon, et l’on ajoutait que tout allait bien que l’argent ne manquait pas, qu’on pouvait être tranquille. Elle n’a pas dit le nom du signataire. Ces deux lettres ont été brûlées par Madame Lafargue à laquelle elles ont paru compromettantes pour son fils.

Lafargue père, en son vivant, employé en sa maison un jeune « décrotteur » espagnol établi à Bordeaux nommé Morell, dont la sœur est femme de chambre chez Madame Lafargue mère qui l’a élevée. Cette jeune fille avertit sa maîtresse que trois ou quatre fois Paul Lafargue avaient emmené son frère à des réunions nocturnes de l’Internationale. Madame Lafargue mère fit alors venir Morell et lui recommanda de ne pas suivre les conseils de Paul et surtout de ne pas l’accompagner, autrement il lui arriverait malheur. Ce garçon qui est honnête et dont le père est aussi un brave homme hésita d’abord, mais ayant consulté un épicier dont j’ignore le nom et qui lui donna le même avis, il cessa d’aller aux réunions de l’Internationale.

Paul Lafargue, sa femme et ses belles-sœurs, imbu des doctrines de Karl Marx, professe matérialisme le plus absolu. La conduite morale de Paul est en harmonie avec ses principes. Il a débuté dans la vie par séduire une jeune fille dont il a eu deux enfants et paraboles ensuite complètement ses trois victimes. ????

Tous ces renseignements que je vous donne, je les ai reçus presque entièrement de Madame Veuve Lafargue et je tiens essentiellement à ce que, si les poursuites sont dirigées contre son fils, elle ne soit nullement compromise ni mise en scène. C’est une excellente et digne femme à tous égards.

C’est tout ce que le témoin dit savoirs et, après lecture de sa déposition, il nous a déclaré en reconnaître l’exactitude. En foi de quoi nous avons signé.

Raoul Duval président de la cour d’appel de Bordeaux

La Maison Paul Lafargue à Draveil

Cette maison, entourée d’un parc de près d’un hectare, fut, de 1896 à 1911, la résidence de Paul Lafargue et de sa femme Laura, fille de Karl Marx. En 1896, grâce à l’héritage de leur ami Friedrich Engels, ils achètent cette propriété (40.000 Francs) dans laquelle ils se retirent et où ils accueillent pendant quinze ans leurs amis de la Seconde Internationale.

Vladimir Oulianov, dit « Lénine », fréquente cette maison en 1910 durant son exil en France. Il exprime à Paul Lafargue le désir de Nadia Kroupskaïa et de lui-même de faire la connaissance de son épouse. C’est ainsi qu’en 1910, Vladimir Ilitch et Nadia arrivent à bicyclette à Draveil. Cette journée est évoquée dans les mémoires de Nadia Kroupskaïa, « Ma vie avec Lénine ».

Le 26 novembre 1911, à l’approche de ses 70 ans, Paul Lafargue, « sain de corps et d’esprit » selon les termes de son testament, met fin à ses jours dans cette maison pour ne pas subir le joug de « l’impitoyable vieillesse » qui prive progressivement l’homme de ses forces intellectuelles et physiques, le mettant à la charge de sa famille ou de la société. Laura le suit dans sa mort.

A la mort des Lafargue, la maison de Draveil fut revendue 25 100 frs, conditions jugées « détestables » et « désastreuses » par le Dr Longuet, neveu de Laura, qui l’estimait à au moins 60 000 frs. La somme fut partagée entre la famille des Lafargue (des cousins résidant à Bordeaux et les 4 enfants Longuet survivants).

En 1930, la maison est acquise par l’association philanthropique Les Amis de l’homme qui la transforme et l’agrandit par l’adjonction d’un corps de bâtiment surmonté d’un dôme. Sur les murs de l’édifice, des panneaux sculptés en bas-relief évoquent la doctrine de l’œuvre, de même que les statues du bassin situé dans le parc ; à l’intérieur, le décor préexistant (pièce principale du rez-de-chaussée) a été modifié pour être mis en résonance avec l’esprit de l’association.

Ce décor a été restauré en 2006. En raison de la venue de Lénine dans cette propriété, des cinéastes politiques vinrent y tourner, en août 1980, les séquences d’un film. Le 3 décembre 2011, une plaque commémorative sera déposée sur la grille pour en rappeler les propriétaires illustres

1Paul Lafargue le droit à la paresse éditions Allia 74 pages. une étrange folie possède les classes ouvrières des nations ù règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles tortures la triste humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et sa progéniture.

2 Les troubles consécutifs à l’insurrection des esclaves de Saint-Domingue (actuelle Haïti) en 1791 jetèrent en exil dans les îles et terres voisines de la Caraïbe pendant une quinzaine d’années de nombreux Aquitains, Gascons, Basques et Béarnais, qui représentaient le principal groupe régional de l’ancienne colonie antillaise devenue indépendante en 1804. Dans la partie orientale de l’île voisine de Cuba surtout, le courant d’émigration aquitaine, initié par de grands chefs fondateurs, soutenu par de puissants réseaux et alimenté par la tradition, persista durant toute la première moitié du 19e siècle.

Un Béarnais, Prudent de Casamajor, ancien gérant de sucreries devenu négociant, fut par son activité l’agent général, l’homme d’affaires, le conseiller et même le banquier de cette colonie de réfugiés. Il débuta dans la spéculation en achetant à bas prix dans les hauteurs de Santiago des terres en friches difficiles d’accès que l’on pouvait croire incultes mais qu’il fit prospérer en les cédant à des compatriotes par petits lots pour l’installation de caféières (cafetals) et en les reliant par un réseau de routes dont la principale est toujours connue sous le nom de Camino frances. Le poète José-Maria de Hérédia est l’un de ses nombreux parents cubains.

On vient aussi de redécouvrir récemment que l’une des plus grandes villes de Cuba, Cienfuegos, avait été fondée en 1819 par des Bordelais, conduits par le Franco-Louisianais Louis de Clouet. Paul Lafargue, né à Santiago, immortel auteur du Droit à la Paresse, gendre de Karl Marx et fondateur du Parti Ouvrier français, était fils d’un mulâtre bordelais propriétaire d’une maison 40 rue Naujac et d’un domaine à Sallebeuf. Quant au Charentais François-Régis de La Valade du Repaire de Truffin, il devint sous le nom de Regino Truffin, à la tête de dix-sept sucreries, l’une des plus grandes fortunes sucrières de l’île, première productrice mondiale.

Ces Aquitains, méconnus dans leur région d’origine, restent des personnages majeurs de l’histoire et du patrimoine cubains.

3 Mêlé auxde milieux internationaux qui gravitaient à Londres autour de Marx, Paul Lafargue fréquenta la maison du proscrit et s’éprit de Laura, sa fille cadette. Marx, qui le jugeait “ très brave garçon, mais enfant gâté et par trop enfant de la nature ” (lettre à Engels, 23 août 1866), mit des conditions financières aux fiançailles et, le 13 août, il confiait à Engels : “ J’ai écrit aujourd’hui une longue lettre en français à Lafargue pour lui dire que les choses ne pourront aller plus loin et aboutir à un arrangement que lorsque sa famille m’aura fourni des renseignements positifs sur sa situation économique. ” Lafargue fit rapidement le nécessaire et, le 23 août, Marx pouvait préciser à Engels : “ Le père m’a écrit de Bordeaux, a demandé pour son fils le titre de fiancé et m’a fait, au point de vue financier, des conditions très favorables. ” Le mariage eut lieu deux ans plus tard, le 2 avril 1868.

4 Des révoltes populaires à Bordeaux et en Aquitaine brochure de l’association PourQuoiPas.org

5 Voulu par Napoléon III pour conforter sa dynastie, le plébiscite du 8 mai 1870 a pour but de faire approuver les «réformes libérales opérées par l’Empereur» et donner une nouvelle constitution au régime impérial. Le « Oui» l’emporte à plus de 80 % des suffrages, surtout dans la France rurale.

6 La guerre, déclarée le 19 juillet, n’a pas cessé après la capitulation de Napoléon III à Sedan.

7 Anne Marie Cocula Histoire de Bordeaux

8 Dans les 43 départements encore occupés c’est l’armée allemande qui les organise, les réunions y sont interdites ; 372 000 soldats français sont encore détenus par les Allemands ; et plusieurs milliers de réfugiés français n’ont toujours pas regagné leur domicile… 400 monarchistes sont élus contre à peine 150 républicains, dont seulement 40 «radicaux» proches de Gambetta souhaitant poursuivre la guerre.

9 Cocula (Anne-Marie), Op. cité

10 Des révoltes populaires à Bordeaux et en Aquitaine brochure de l’association PourQuoiPas.org

11 https://maitron.fr/spip.php?article24864, notice LAFARGUE Paul par Jean Maitron, Justinien Raymond et Jean Dautry, version mise en ligne le 6 mars 2009, dernière modification le 1er novembre 2019.

12Bordeaux et la commune 1870 – 1871 de Jacques Giraud édition Fanlac janvier 2009 page 365 annexes

13AN,C 28 82, pièce 15, cité par M. Vuilleumier , « quelques documents inédits sur Paul Lafargue et la famille Marx en 1871 », cahiers de l’ISEA, août 1965

14Il est à noter que la fortune particulière de Paul Lafargue consiste principalement en une grande maison sise à la Nouvelle Orléans.

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