Histoire de voir … histoires au pluriel
24 octobre 2023 à 13h00 au 24 octobre 2025 à 14h00
Les Penn sardin de Douarnenez
Grèves de la conserve des femmes sardinières au début du XXè siècle
Dans notre série sur l’histoire des grèves ouvrières, il en est une qui va donner toute sa place aux femmes : les penn sardine de Douarnenez. Leur détermination et les soutiens populaires les ont menées à la victoire en 1925 après 42 jours de luttes. Un épisode des Grèves de la conserve des femmes sardinières au début du XXè siècle à Douarnenez, dont la grève victorieuse de 1924/1925, est le continuum de plusieurs conflits.
Tout d’abord, la disparition, pour des raisons climatiques (tempêtes, vents ….), des bans de sardines près des côtes bretonnes, un sous équipement des flottes de bateaux empêchant la pèche hauturière, une baisse de la fréquentation touristique, une mono activité économique sur laquelle repose cette région au début du XXè siècle. Tout ces éléments provoquent la crise sardinière.
Cet arrêt des ressources plonge 15 à 20 000 ouvrières des conserveries et le double des pêcheurs au chômage. La misère est tellement forte qu’elle émeut jusqu’au niveau national. Deux puissants mouvements de solidarité font jour en 1903.
Nous sommes en pleine « guerre des cultes ». L’un, le camp laïque, républicain et socialiste, l’autre animé par l’Église qui campe sur ses terres de conquête. Chaque Camp organise des soupes populaires, des récoltes de fonds, recherche de nouvelles activités économiques plus diversifiées, comme la fabrication dentellière.
Extrait de La crise sardinière par Charles Le Coffic dans la Revue des deux mondes tome 37 en 1907 :
« La Faim est venue faire son tour en Bretagne, — la Faim Noire ! Ses os saillent à travers sa peau ; — ses dents claquent avec le bruit que font les galets — roulés sur la grève par une grande marée. — Blême est sa face et ses yeux brillans lui donnent l’aspect d’un spectre horrible. — Sur sa tête une coiffe sale, autour de son corps une guenille — et sur le front une mèche de cheveux gris embroussaillés, — elle est venue, la mégère impitoyable, malédictions et souffrances plein son tablier… »
Cet art complexe de la dentelle dite au point d’Irlande, est l’apanage des femmes, qui par leur travail ont su trouver une parade à cette crise économique majeure, pour nourrir leur famille, habituées qu’elles étaient à assumer la vie du quotidien pendant l’absence du mari pêcheur. Cela explique aussi pourquoi elles vont prendre tant de place dans le conflit des Penn sardin.
Les penn sardin de Douarnenez, la première grève de 1905
Les Penn Sardin sont rémunérées au « millier de poissons travaillés ». Selon leur rendement, elle sont payées entre 3 à 12 francs par semaine (l’équivalent de 12 à 47 euros aujourd’hui). Les sardinières sont alors réputées pour être les ouvrières les moins bien payées de France. Tout change en 1905. Un vaste mouvement de grève émerge à Douarnenez, mené par une employée, une certaine Eulalie Belbéoch (1850-1926), laquelle n’a pas la langue dans sa poche : elle revendique un paiement à l’heure. Commencé en janvier, le conflit se prolonge jusqu’au 23 août. Elles obtiennent gain de cause et sont payées 0,80 franc de l’heure. Victoire ! Mais ce maigre salaire ne leur permet guère de sortir de la misère. Surtout qu’il n’évoluera plus. Dix-neuf ans après cette première grève, la rémunération reste la même alors qu’un kilo de beurre coûte 15 francs (59 euros).
Et il en faut du beurre pour faire un bon kouign-amanns
La deuxième grande grève de 1924, on le verra plus bas, est donc un prolongement des luttes qui ont émaillés le secteur industriel de la région. Ce n’est donc pas un hasard de constater l’élection en 1921, d’un maire communiste à Douarnenez, le premier maire communiste de France. A l’époque, Douarnenez est le premier port sardinier de France. Il compte alors 21 usines.
La conserverie s’y est développée dès le début du XIXe siècle, sous l’impulsion de la famille Chancerelle fondatrice de la marque : « Le Connétable ». Ces Nantais d’origine, installent dès 1828, leurs presses à boite à sardine, saisissant tout l’intérêt de la géniale invention de Nicolas Appert.
Nicolas Appert. (1749-1841) est un homme des Lumières, républicain et philanthrope, un inventeur infatigable pour améliorer la vie de ses semblables.
Ce chercheur prolixe fut le premier à mettre au point une méthode de conservation des aliments en les soumettant à la chaleur dans des contenants hermétiques. On lui doit indirectement de fait la première cocotte-minute, 60 ans avant le système dit de pasteurisation. C’est donc à Douarnenez que se fabriquait industriellement les boîtes de sardines.
Cette invention retiendra toute l’attention des intendances militaires, des marins qui voient s’éloigner le scorbut et des populations confrontées aux famines, aux disettes en cas de mauvaises récoltes comme nous l’avons vu un peu plus haut ….
La pêche de la sardine est saisonnière et estivale. Elle doit être préparée « fraîche » de nuit comme de jour. Elle est pêchée l’été et doit être travaillée très fraîche, obligeant les ouvrières à travailler de jour comme de nuit, les heures de nuit valant celles de jour. Comme dans de nombreux métiers difficiles, les ouvrier.es, les paysan.nes chantent ensemble en travaillant, à la fois pour se stimuler et se tenir éveillés.
Et il en faut du courage :
« Une main poisseuse se saisit d’une sardine, lui tranche la tête, l’évide, la trempe dans la saumure, la frit dans l’huile et la met en boîte dans des conserves en fer-blanc. A Douarnenez, au tournant du XXe siècle, cette scène se répète à la chaîne, chaque jour, à l’intérieur d’usines appelées conserveries. Quarante millions de boîtes de sardines y sont produites rien que sur l’année 1900. »
Les femmes en usine
A douze ans, souvent dix pour les fillettes nées avant la Première Guerre mondiale, prennent le chemin de l’usine… Témoignage de M José Chapalain (généalogiste local) tiré du livre Les ouvrières de la mer Histoire des sardinières du littoral breton d’Anne-Denes Martin aux Editions L’Harmattan :
J'ai embarqué à treize ans, en 1919, il fallait douze, treize ans pour être qualifié mousse. Mais il y en avait qui allaient avant, en cachette..… « Ma sœur..... a été obligée d'aller à l'usine à dix ans - je te parle de 1921 - sous le nom d'une autre. On les cachait dans le trou à sel, quand venait l'inspecteur du travail.... On exigeait la coiffe par exemple. Sans ça vous n'étiez pas prise à l'usine .... Et alors là, on les appelait les petites filles. Elles étaient là pour servir les tables des femmes, pour les aider, jusqu'au moment où l'on pouvait faire comme elles, à quinze, seize ans. A ce moment-là, on nous apprenait à mettre le poisson en boîte, et à faire comme les femmes… C'est de ces coiffes que leur viendra le surnom de Penn sardin, tête de sardine. Plus tard, le port de la coiffe ne sera plus exigé pour les petites filles. Mais dans les années 20 il est obligatoire.... Le chant est entré dans les usines avec les femmes. Dans les conserveries et les filatures.... Tous les évènements de la vie à Douarnenez sont ponctués par le chant.... » « Du matin au soir nettoient les sardines / Et puis les font frire dans de grandes bassines ».
La chanson reprend la tradition du chant contestataire (voir notre chronique du 3 janvier dernier sur les goguettes), mélangeant la pratique musicale de l’église et l’influence communiste pour les couplets.
Écoutez la chanson « Penn Sardin ». Elle a été composée en 2005 par la musicienne régionale, Madame Claude Michel,, avec le concours des élèves du lycée Sainte Élisabeth de Douarnenez.. Pour la compositrice, musicienne et chanteuse le combat des sardinières est toujours valable aujourd’hui.
« C’est évident que sur le plan féministe, c’est important. Je voulais faire connaître aux jeunes filles, l’histoire de leurs grands-mères et arrière-grands-mères. Je pense qu’il peut y avoir une certaine fierté pour les jeunes de comprendre le combat de ces femmes à ce moment-là. »
Le nom de Penn Sardin (tête de sardine) est attribué par extension aux habitants du pays Glazik (petit bleu) du nom des coiffes des sardinières et des costumes de cette couleur de drap d’origine militaire, portés par les hommes au XXè siècle.
La chanson composée par Madame Claude Michel : Penn Sardin
La seconde grande grève de 1924/1925 : de la grève des sardinières au soviet de Douarnenez
Le 7 octobre 1924, Daniel Le Flanchec secrétaire du jeune Parti Communiste Finistérien est élu maire de la ville. C’est un communiste libertaire bon orateur, bon bagarreur, le sens de la répartie, chanteur à la voix de feu, un personnage on dirait aujourd’hui haut en couleur. Avant-Guerre, il ne fait pas mystère de son soutien à la bande à Bonnot,. Il lui reste, tatoué sur la main droite un « mort aux vaches » ainsi que « entre quatre murs, j’emmerde la sûreté », souvenirs de ces escapades dans des contrées lointaines. Il a été marin, comme presque tout breton qui se respecte, pendant 5 ans et a participé à l’expédition internationale contre la révolte des Boxers en Chine. A son retour il devient syndicaliste, rejoint le camp socialiste, puis communiste.
Un mois plus tard, le 21 novembre 1924, la grève est déclenchée par les sardinières qui souhaitent une augmentation de salaire :
« Comment peut-on vivre avec ses salaires de misère ? On n’arrivait pas. Douarnenez a eu beaucoup de misère. La grève c’était le besoin… »
diront les ouvrières.
Un comité de grève regroupant, les grévistes, la municipalité, les syndicats met en œuvre les moyens qui leur permettront de tenir. « Pemp real a vo » (Cinq sous nous aurons) est le cri de ralliement des manifs qu’anime le comité de grève. Le mois de décembre arrivant, l’écho de cette grève prend un caractère national, voire international. La ville reçoit des délégations russes, tchèques, allemandes. Le jeune Parti Communiste, créé le 30 décembre 1920, appelle à la création d’un soviet et à amplifier le mouvement.
L’ attentat du jour de l’an.
Les premières fissures chez les propriétaires conservateurs font jour. Certains veulent négocier. D’autres au contraire font appel à des briseurs de grève, les jaunes(voir chronique sur la couleur jaune).
C’est au bistrot l’Aurore (a-t-il un lien avec le croiseur du même nom symbole de la Révolution de 1917, que le maire Daniel Le Flanchec, entouré de ses neveux, des grévistes, fêtent le Jour de l’An.
En fin de soirée apparaissent des briseurs de grève qui tirent plusieurs coups de feu blessant le maire et deux autres personnes.
Aussitôt la foule se déchaîne, elle saccage l’hôtel où logent ces jaunes. Puis elle vise le quartier où vivent les armateurs et patrons des conserveries. Le quartier est surnommé la “Terre sainte”, car il se situe autour de l’église, manifestant ainsi les liens privilégiés des résidents qui les unissent au clergé.
Quelques jours plus tard, le maire se rétablissant, on apprend que deux des patrons conservateurs parmi les plus importants de la ville sont les commanditaires de la tentative d’assassinat du maire contre une somme de 20 000 F remis aux briseurs de grève.
Le journal l’Humanité titre sur six colonnes : « à Douarnenez : première flaque de sang fasciste ! »
La révélation de cette affaire accélère l’intervention du préfet qui impose aux patrons usiniers la négociation. La signature d’un accord salarial au terme de 46 jours de grève des Penn Sardin est une grande victoire qui se prolongera par des accords identiques dans tous les ports de France jusqu’en 1927.
Cette victoire obtenue par la prise de conscience de la force du collectif, par les femmes, des ouvrières, ces Bretonnes « du bout du monde » fut un combat pour le pain, mais surtout pour la dignité. Parmi elles
Joséphine Pencalet
Joséphine Pencalet, née le 18 août 1886 et morte le 13 juillet 1972 à Douarnenez, est une ouvrière française.
Elle participe aux grèves des sardinières à Douarnenez en 1924 puis est élue en mai 1925 conseillère municipale sur la liste présentée par le Parti communiste français.
Son élection est invalidée par le Conseil d’État en novembre 1925, car à l’époque les femmes ne sont en droit ni électrices ni éligibles.
Néanmoins, elle fut la première femme, et bretonne, élue à un conseil municipal.
Et voici l’Internationale chantée en Breton https://youtu.be/Y0KV4vr4kMY
Chronique ouvrière pour Histoire de voir … histoires au pluriel tous les mardis de 13 à 14h sur la clé des Ondes 90.10
Une chronique ouvrière de l’émission Histoire de voir … histoires au pluriel par Martine Descoubes et Jean Pierre Lefèvre pour la Clé des Ondes 90.10
documentations : Jean Michel Le Boulanger nov 2016 proposé par Bretagne Culture Diversité Les syndicats ouvriers des filles de la conserve de poisson en Bretagne 1905-1914 Jean-Christophe Fichou Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne] Articles de Ouest France – l’Humanité – bio(s) tirées du Maitron – article Géo 2019 de Marine Jeannin – publications de la CGT du PCF
Musiques de Mme Claude Michel : Penn sardin – chorale la Bordée paroles de Jean Luc Rougnant
Extraits du film « Penn sardines » de Marc Rivière et un intérêt constant pour la Bretagne et les luttes ouvrières Enregistrement Assopourquoipas.org
Les Penn sardin Paroles et musique : Mme Claude Michel. Il fait encore nuit, elles sortent et frissonnent, Le bruit de leurs pas dans la rue résonne REFRAIN 1 : Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots Voilà les ouvrières d’usine, Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots Voilà qu’arrivent les Penn Sardin. À dix ou douze ans, sont encore gamines - Mais déjà pourtant elles entrent à l’usine. REFRAIN 1 Du matin au soir nettoient les sardines - Et puis les font frire dans de grandes bassines REFRAIN 1 Tant qu’y a du poisson, il faut bien s’y faire - Il faut travailler, il n’y a pas d’horaires. REFRAIN 1 À bout de fatigue, pour n’pas s’endormir - Elles chantent en chœur, il faut bien tenir. REFRAIN 1 Malgré leur travail, n’ont guère de salaire - Et bien trop souvent vivent dans la misère. REFRAIN 1 Un jour toutes ensemble ces femmes se lèvent - À plusieurs milliers se mettent en grève. REFRAIN 2 : Écoutez claquer leurs sabots Écoutez gronder leur colère, Écoutez claquer leurs sabots C’est la grève des sardinières.
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