Histoire de voir … histoires au pluriel
24 octobre 2023 à 13h00 au 24 octobre 2025 à 14h00
Creys-Malville/Plogoff, naissance de l’écologie politique
Nous reprenons notre série sur les conflits et les luttes de résistances qui ont marqué les années 70. Luttes ouvrières, où la place des femmes dans les conflits s’affirmait, comme nous l’abordions dans notre émission consacré à la Bretagne en résistance, avec la grève du Joint Français, lutte ouvrière symbolique, ou l’affirmation d’une identité bretonne s'affirmait, elle aussi. Vous pouvez écouter notre émission en podcast, la 138e sur le site laclédesondes.fr dans notre rubrique d’histoire de voir l’histoires au pluriel..
Creys-Malville/Plogoff naissance de l’écologie politique.
C’est dans les années 70 que des conflits, des mouvements d’opinion, remettent en question la société productiviste, accusée d’uniformiser, de détourner les aspirations, les désirs, réduisant la citoyenneté à celle de con-sots-mateurs, l’objectif unique d’une société basée sur la consommation.
L’époque est l’heure des remises en cause qui prolongent Mai 68. La place des femmes, celle de la jeunesse (baby boomer), l’environnement, les Droits de l’Homme vont s’affirmer dans les revendications plus qualitatives aussi bien à l’usine que dans la société.
Aux mots d’ordre de « perdre sa vie à la gagner », ou « métro boulot dodo » et du non moins célèbre « sous les pavés, la plage » qui fleurissent dans les villes, comme en écho, dans les campagnes, répond celui très populaire, de « vivre et de travailler au pays », slogan accompagné de réflexions autour de la volonté d’une agriculture de qualité, maîtrisée par les agriculteurs au profit des consommateurs.
Ce n’est donc pas un hasard si c’est en Bretagne, frappée par une succession de marées noires, que la question énergétique et la pollution vont prendre place dans les débats politiques et faire trembler les bases d’une société ou le développement et l’exploitation des ressources naturelles semblaient sans fin.
A ces questions d’orientation de fond, le gouvernement répond pour le maintien du modèle des 30 Glorieuses, par le tout nucléaire sa solution pour assurer l’indépendance énergétique du pays.
Le nucléaire, rien que le nucléaire !
1973 c’est aussi et surtout l’année du premier choc pétrolier (le 23 décembre 1973, en France, le prix du pétrole augmentait de 112 %. C’est le premier choc pétrolier qui déclenche une crise mondiale. Le prix de l’essence a donc quadruplé en six mois, déstabilisant les économies occidentales. L’OPEP (Organisation des Pays Exportateur de Pétrole) est dominé par les Pays arabes, qui à l’occasion de la guerre du Kippour, augmentent de 70 % les prix du baril, et exigent l’évacuation des territoires occupés et la reconnaissance du droit et des territoires palestiniens.
Derrière cette décision politique, se cache, pour beaucoup d’économistes, un conflit provoqué par la fin des accords de Bretton-Woods deux ans plus tôt. Il s’agit de la suppression de la convertibilité du dollar en or, permettant ainsi au dollar de flotter, mettant fin au système de taux de change fixe, pour un change flottant. Le dollar sert de base monétaire en matière de pétrole. Sa valeur dégringole, réduisant d’autant les profits de l’OPEP.
Un nouveau choc pétrolier se renouvelle six ans plus tard, accélérant les choix pronucléaire du gouvernement, suscitant la méfiance et les craintes qui en découlent, ouvrant la voie et les voix de la contestation.
Comme on le disait à l’époque dans nos manifestations : « société nucléaire, société militaire, société policière. »
La France, en quête d’uranium pour son “indépendance énergétique”, continue l’assujettissement de ses anciennes colonies. Par exemple, le Niger, où depuis 1971, les compagnies, exploitent plusieurs mines d’uranium, avec une clé de répartition défavorable à l’ancienne colonie. Les nouvelles autorités nigériennes, il y a quelques semaines ont suspendu cette exploitation en nationalisant l’extraction des mines. On le voit, la notion d’indépendance est bien relative.
Cela n’empêche pas l’État d’avancer, puisqu’en 1974, il met en place un plan ambitieux de construction de 13 nouvelles centrales nucléaires.
René Dumont, agronome de 70 ans, bien connu pour son pull-over rouge, est candidat à l’élection présidentielle de 1974. Il surprend les Français en se montrant à la télévision avec une pomme et un verre d’eau, pour leur expliquer combien ces ressources sont précieuses et en péril. Il prédit l’inévitable hausse du prix des carburants. Si le score est bien faible (1,3 % des votants), cette candidature, il ouvre le débat et fait sortir de sa confidentialité la question environnementale, favorisant une prise de conscience de la question auprès d’un plus large public.
Nucléaire non merci !
Malgré le rouleau compresseur de la propagande pro nucléaire de l’État, la générosité d’EDF vers les communes dans lequel elle doit implanter une centrale, la résistance passe y compris au-dessus des oppositions au sein de la gauche, et ainsi naît l’écologie politique.
Le mouvement est déjà partagé sur le type d’actions à mener ;
- forme du parti, participation ou pas aux élections,
- type et forme d’actions à mener
- Non-violence, politique d’accompagnement ou plus radicale.
Nous le verrons en mettant en avant deux luttes caractéristiques : en 1977 la manifestation de Creys Malville en Isère, contre le surgénérateur Phénix , deux ans plus tard en 1979, de la Pointe du Raz à Plogoff en Bretagne.
Deux moments forts de mobilisations qui rythme cette décennie comme en 1975 à Fessenheim, sans oublier la Gironde qui mobilisait aussi la même année contre les débuts des travaux à Braud Saint Louis, la future Centrale dénommée par les opposants : Tchernoblaye
Un tournant dans le mouvement contre les centrales nucléaires s’exprime, porté par une opinion publique inquiète. Dans l’Après 68, la manifestation non-violente marque leurs limites. La France vit dans une période de tension sociale très forte, propice aux grandes manifestations et à l’expression d’un radicalisme militant opposé à celui de l’État. L’Histoire malheureusement leur donnera raison annonçant la catastrophe de Tchernobyl en Ukraine en 1986 et plus près de nous, le désastre de Fukushima. au Japon.
La manifestation de Creys Malville de 1977
Revenons à la manifestation de Creys-Malville en Isère qui va rassembler des dizaines de milliers de manifestants et se heurter à la répression et violence d’État, entraînant la mort d’un manifestant Vital Michalon, de mutilés et des dizaines de blessés au cours d’affrontements.
La mobilisation s’appuie tout à la fois sur une opinion circonspecte sur le nucléaire, la population locale très concernée, les agriculteurs et les antinucléaires de l’Isère, appuyés par plus d’une centaine de comités Malville dans toute la France. Soutenu évidemment par Greenpeace, les amis de la Terre, une partie de la CFDT, le mouvement écolo et l’extrême gauche, unis contre l’installation du Superphénix. La lutte devient le symbole du mouvement antinucléaire européen, comme en Suisse, en Allemagne où les populations s’inquiètent des conséquences d’un incident dans cette centrale vu sa situation géographique.
Les comités appellent en cette fin juillet 1977 à une marche pacifique qui convergera vers le site. Aussitôt la préfecture interdit Un périmètre autour du chantier, le préfet René Jannin déclarant dans sa conférence de presse :
« Messieurs, pour la deuxième fois dans l’histoire de France, la mairie de Morestel est occupée par les boches. » On voit l’ambiance.
5000 flics sont mobilisés, un régiment de parachutistes, des brigades anti émeutes, voire même des hommes grenouilles etc. ., le tout appuyé par des hélicoptères, des engins militaires, bref l’invasion sera repoussée.
Témoignage :
“Cette manif, je l’ai vécu en direct moi-même, entouré de 40 à 90 000 manifestants selon les sources. Départ de Paris le vendredi soir, pour arriver le samedi dans un village situé à environ 10 km du site. Sans équipement ni nourriture, certains mieux préparés que d’autres, nous nous en sommes sortis, grâce à la solidarité et le partage qui étaient de rigueur.
La pluie à défaut de révolution fut permanente fut notre compagne au cours du week-end. Départ de la manif en colonnes le dimanche matin pour rejoindre le village de Faverges. Encadré par les forces de police, le balai des hélicoptères, le tout sous un nuage de lacrymogènes ;
Moment quelque peu surréaliste pour des citadins dépaysés à la campagne.
Deux autres colonnes convergent, elles aussi sur le site, pour se heurter au mur de la police. Alors débutèrent les échauffourées. En arrivant sur site on assista de loin à ces affrontements, spectateurs d’un tableau digne de Waterloo.
Entre la pluie, la boue, le stress et la noria des ambulances improvisées qui remontaient le chemin avec des camarades blessés par les tirs des grenades offensives, l’ambiance n’était plus à la fête. Le retour à la base fut des plus amer. Quand au trajet en car interminable et pénible, d’autant que nous y apprîmes la mort du camarade Vital Michalon, enseignant âgé de 31 ans.”
Après la manifestation, le Préfet Jannin fait état de cinq policiers blessés (deux accidentellement) et d’une centaine de blessés civils dont deux seront amputés, et …… cinq arrestations. Il oublie dans son bilan, la mort dit il suite à une crise cardiaque de Vital Michalon. on sait aujourd’hui, ses poumons éclatent sous l’effet d’une explosion, grenade offensive ou autre. On pense aussi à Rémy Fraisse assassiné en 2014 lui aussi par une grenade. Après la manifestation, le Préfet Jannin fait état de cinq policiers blessés (deux accidentellement) et d’une centaine de blessés civils dont deux seront amputés, et …… cinq arrestations. Il oublie dans son bilan, la mort dit il suite à une crise cardiaque de Vital Michalon. on sait aujourd’hui, ses poumons éclatent sous l’effet d’une explosion, grenade offensive ou autre. On pense aussi à Rémy Fraisse assassiné en 2014 lui aussi par une grenade.
En conclusion :
L’exploitation de la centrale de Creys-Malville sera arrêté en 1998, moins de 20 ans après son démarrage. Depuis lors, le site de la centrale nucléaire de Creys-Malville est en cours de démantèlement.
Manifestation de Plogoff en 1979
L’autre conflit se déroule dans un autre contexte. Plogoff est situé sur la Pointe du Raz pour ceux qui connaissent la Bretagne. C’est un petit village de pêcheurs, et l’annonce de la construction sur ce site d’une centrale nucléaire va déclencher une levée de boucliers, faisant de ce petit village, le haut lieu de la résistance bretonne au tout nucléaire.
Comme nous le disions en début d’émission, la Bretagne a subi en une dizaine de marées noires de 1969 à 1979, sensibilisant la région à la cause environnementale. Le refus de l’installation d’une centrale est quasiment unanime. La protestation rassemble des maires et élus des communes, la jeunesse inspirée de mai 68, les écologistes unis dans une forme d’affirmations culturelles on dirait identitaire aujourd’hui autour d’un projet politique breton.
Vous entendrez au cours de ce reportage la détermination de la population, et comme en filiation à la grève victorieuse des Penn sardines de Douarnenez il y a 100 ans, les femmes de pêcheurs, habituées en femme de marin à diriger la vie du quotidien, seront à la pointe du combat, de la sensibilisation, de la direction et de l’organisation du mouvement de résistance. Mouvement qui utilisera face à la violence d’État l’autodéfense de son village, les galets servant de plat de résistance face à la police.
Cette mobilisation va dépasser largement la région. Elle sera un enjeu politique de l’élection présidentielle de 1981, puisque le candidat François Mitterrand après son élection annulera la décision d’implantation de cette centrale nucléaire à Plogoff.
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