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Évènements associatifs

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Flora Tristan au Pérou : une femme en fuite

1818, Flora et sa mère sont ruinées. Elles emménagent rue du Fouarre, dans le quartier misérable de la place Maubert à Paris. Flora est en âge de travailler. C’est ainsi qu’elle se présente à la porte de l’atelier du graveur-lithographe André Chazal, appartenant à une famille d’artistes.

Il l’engage comme ouvrière coloriste et en tombe amoureux. « Elle m’inspira une passion violente ». Le mariage est célébré le 3 février 1821 à la mairie du sixième arrondissement. Flora n’a pas encore 18 ans.

Ce mariage se transforme en cauchemar pour le couple. Chazal se révèle jaloux, et violent, quant à Flora elle aspire à une autre destinée : en effet, elle considère que la femme, en se mariant, est une esclave à vie (le divorce a été aboli par la restauration en 1816). A 22 ans, enceinte de son troisième enfant, elle quitte le domicile conjugal. A la naissance de sa fille Aline – la future mère de Paul Gauguin – elle lui jure de lutter pour un monde meilleur.

Flora, pour fuir son mari, abandonne ses trois enfants à sa mère, s’engage comme dame de compagnie auprès des sœurs Spencer, deux anglaises qui voyagent en Angleterre, Italie, Suisse, Allemagne. 

En 1829, toujours en fuite, elle rencontre en compagnie d’Aline, un capitaine de navire marchand, Zacharie Chabrié, revenu du Pérou et qui connaît l’oncle Pio, le chef de famille des Tristan, frère cadet de son père. Elle confie une lettre pour sa famille péruvienne au capitaine.

Dans cette lettre, elle raconte toutes ses difficultés, financières mais évite de parler de sa situation familiale. Elle reçoit une réponse affligeante, dans laquelle l’oncle Pio refuse de considérer sa mère naturelle comme légitime, surtout sur le plan de l’héritage. Sa grand-mère est plus enthousiaste et elle reçoit un pécule pour pouvoir les rejoindre au Pérou.

En 1832, les disputes conjugales entre Flora et Chazal dégénèrent. Elle perd Alexandre son plus jeune fils, malade, doit abandonner son deuxième enfant Ernest à la garde de Chazal et doit placer, sa fille Aline en pension à Angoulême. Elle rejoint Bordeaux en janvier 1833, logée dans l’ex Hôtel de Nairac cours de Verdun, chez un cousin des Tristan, Pedro Mariano de Goyeneche, homme de lois et consul du Pérou.

Elle embarque en avril sur le bateau, « Le Mexicain », commandé par … le capitaine Zacharie Chabrié, qui ​s’éprend d’elle et veut l’épouser. Bien que connaissant son statut de mère célibataire (il connaît la petite Aline), il ignore son mariage avec Chazal. Sur sa condition de mère-célibataire, elle lui demande la plus grande discrétion et en fait son complice.

Les rencontres, les ruptures et la vie du Capitaine Zacharie Chabrié ici.

                                                                 Le port de Bordeaux  dessin de Civeton, gravée par Couché et Chamoin

Flora Tristan ; arrivée au Pérou

A son débarquement au Pérou, après 234 jours de voyage, elle apprend la mort de sa grand-mère, et en est profondément affectée. Les épreuves ne sont pas finies car pour se rendre à Arequipa, elle doit traverser la Cordillère les Andes, avec des conditions de voyage fort pénibles.

Flora Tristan arrivée à Arequipa

Vers Arequipa dessin Olivier Merle voir la vidéo.Le Pérou de la féministe Flora Tristan  ici 

« A quatre heures du matin, le muletier vient prendre les bagages. Pendant qu’il chargeait les bagages, je me levais, j’étais rompue, harassée de fatigue, et, selon mon usage, je me ranimai en prenant fort ce café… au commencement du voyage, je me trouvais passablement sur ma mule… À peine avions nous quitté la hauteur Islay pour nous enfoncer dans les montagnes que nous fûmes rejoints par deux cavaliers… Le docteur, habitué à voyager dans le Mexique, où les routes sont infestées de brigands … s’était armé de pied en cap… les deux jours que j’avais passés à Islay m’avaient excessivement fatiguée : l’émotion de me voir sur ce sol après tant de peine pour l’atteindre, la difficulté de m’exprimer dans une langue que je connaissais mais que je n’étais pas dans l’habitude de parler, la multitude de visites qu’il avait fallu recevoir …. tout cela m’avait surexcitée le système nerveux de la manière la plus violente… Nous franchîmes la dernière montagne ; arrivée à son sommet, l’immensité du désert, la chaîne des Cordillères et les trois gigantesques volcans d’Arequipa se découvrirent à nos regards. Autant, dans cette pampa, les journées sont brûlantes par l’ardeur du soleil et la réverbération du sable, autant les nuits y sont froides par l’influence de la bise qui a traversé les neiges des montagnes. Enfin nous arrivâmes au tambo (auberge) qui n’existait que depuis un an. »

Flora Tristan sensible à la condition animale

Flora a mal supporté cette première étape, elle est souffrante au point que ses compagnons de voyage estiment qu’elle ne pourra pas le continuer. C’est mal la connaître.

« En sortant du tambo, le paysage change entièrement d’aspect…c’est la nature morte dans tout ce qu’elle a de plus triste. Pas un oiseau qui vole dans l’air ; pas le moindre petit animal qui court sur la terre ; rien qu’un sable noir et pierreux. L’homme, dans son passage a encore augmenté l’horreur de ces lieux. Cette terre de désolation est jonchée des squelettes d’animaux morts de faim et de soif dans cet affreux désert : ce sont des mulets, des chevaux, des bœufs. Quand aux llamas, on ne les expose pas dans cette traversée, … ils ont besoin de beaucoup d’eau et d’une température froide… La vue de ces squelettes m’attristait profondément. Les animaux attachés à la même planète, au même sol que nous, ne sont-ils pas nos compagnons ? Ne sont-ils pas aussi les créatures de Dieu ? Ce n’est pas par un retour sur moi-même que je souffre de la peine de mes semblables ; la douleur excite ma compassion, quel que soit l’être qu’il endure, et je crois que c’est un devoir religieux d’en garantir les animaux qui sont sous notre domination… Je voyais ces pauvres animaux, épuisés de fatigue, haletant de soif, mourir dans un état de rage. »

Aucune souffrance ne semble étrangère à Flora. Elle marquera toute sa réprobation contre la violence faites aux animaux en condamnant, quand elle sera à Lima, les spectacles barbares de tauromachie.

Arequipa

Flora Tristan au Pérou

  Je traversais la foule dessin Olivier Merle

A son arrivée en vue d’Arequipa, si elle est accueillie avec enthousiasme par la tribu des Tristan, l’oncle Pio est absent, occupé aux affaires de l’État. Il lui confirme sa position : il la reconnaît comme sa nièce mais pas comme nièce légitime. Elle n’héritera pas du patrimoine paternel qui selon lui n’existe plus. Par contre, il la dote d’une pension de 2500 Francs annuelle, provenant de l’héritage estimé au 1 /5 de la fortune de son père.

Déçue, désemparée, elle découvre le Pérou. Flora y est donc reconnue comme la fille du colonel créole Mariano de Tristán y Moscoso, l’ami du jeune Simon Bolivar (1783 – 1830), dit « Le Libertador », héros du « Panaméricanisme ».

Elle résidera à Arequipa pendant huit mois, menant la vie d’une jeune aristocrate, choyée par la tribu des Tristan et logée dans le Palais familial.

Elle observe, décrit, écrit sur la vie, les mœurs, de ses habitants, en dresse leurs portraits et devient la témoin des luttes et bouleversements d’un pays qui accède à l’indépendance dans la violence.

 

Flora Tristan découvre Arequipa

* Flora Tristan au Pérou ArequipaArequipa est la deuxième ville du pays. Perchée à 2350 m, entourée de volcans les Misti et Chachani, qui culminent à plus de 5000 m et située à proximité du lac Titicaca.

L’occupation humaine remonte à – 5001 – 6 000 av J C, c’est le berceau des peuples amérindiens, les Aymaras, implantés avant l’installation de l’empire Inca qui y cultiva et puisa ses ressources agraires.

L’Arequipa coloniale a été fondée dès 1540 par Garci Manuel de Carbaja. Située sur une zone sismique, elle dut subir plusieurs tremblements de terre, nécessitant aménagement et reconstruction au cours des siècles.

La ville, entourée d’immenses haciendas exploitant esclaves noirs et indiens, enrichissait les Créoles (familles espagnoles et leurs descendants), qui résidaient au centre de cette splendide « cité blanche » autant par sa composition ethnique que par la couleur des habitations construites avec de la pierre volcanique immaculée.

Construite sur un plan en damier, séparée par de charmantes places ombragées, entrecoupées de palais et de couvents : parmi eux le plus grand du monde, le couvent Santa Catalina, véritable ville dans la ville. Flora en fera une restitution dans un article consacré aux couvents d’Arequipa.

Flora en plein cœur des révolutions

Le séjour de Flora Tristan au Pérou correspond dans l’histoire du pays à deux années de luttes féroces, entre les libéraux et les conservateurs, dont la ville d’Arequipa, fut un des théâtres principaux, puisqu’elle se trouva successivement occupée par les uns et les autres.

L’occupation d’Arequipa par les troupes du Général Gamarra, était dirigée par le colonel Bernardo Escudero. C’est lors de son séjour à Arequipa qu’Escudero a rencontré Flora Tristan qui la décrit et évoque l’attirance qu’elle ressentait pour lui. (voir articlesur le colonel Bernardo Escudéro  ici)

« Les Pérégrinations d’une paria » constituent donc un témoignage sur cette période. Flora était aux premières loges, en pleine révolution et sa curiosité la poussa à rencontrer les différents adversaires, les interrogeant, les confrontant aussi bien au sujet de la place de l’église dans la société, que des privilèges juridiques et fiscaux des membres du clergé, du corps des officiers ou de l’organisation politique et économique pour l’avenir du Pérou et pour l’Équateur et la Bolivie qui y étaient associés.

Il faut dire que Flora même si elle n’est pas encore une militante ouvrière, développe les idées socialistes, on lui connaît la connaissance des idées d’Owen, ses amitiés saint-simoniennes, et l’intérêt à la lecture de Fourier. Dans « les Pérégrinations d’une paria », elle écrit :

« S’ils avaient voulu réellement organiser une république, ils auraient cherché à faire éclore, par l’instruction, les vertus civiques jusque dans les dernières classes de la société ; mais comme c’est le pouvoir, et non la liberté, et le but de cette foule d’intrigants qui se succèdent à la direction des affaires, il continue l’œuvre du despotisme et pour s’assurer de l’obéissance du peuple qu’ils exploitent, il s’associe aux prêtres pour le maintenir dans tous les préjugés de la superstition. »

Outre la vie politique très agitée de la jeune République, elle décrit les mœurs de la bonne société créole d’Arequipa et de Lima, dont elle montre, à plusieurs reprises, l’égoïsme, le cynisme et la fatuité. Son oncle Pio en étant pour elle le symbole, aimant l’Ancien Régime par goût et servant la République par intérêt. Elle lui reproche même sa lâcheté et son opportunisme. (voir article qui était l’oncle Pio ?)

Par opposition à son mépris des notables qu’ils soient libéraux aux conservateurs, elle met en avant sa sollicitude envers les humbles, les Indiens, les esclaves de la côte et les femmes. Elle dénonce la condition des Amérindiens, l’esclavage et la traite des noirs.

Flora Tristan contre l’esclavage !

Des esclaves au travail dans des champs de cannes à sucre. 

Lors de son séjour à Lima, elle visite une sucrerie, et se retrouve à nouveau face à un esclavagiste. Moins odieux que celui du cap Vert, elle lui renouvelle sa condamnation de l’esclavage. Avant de quitter la plantation, elle découvre un cachot ou des « négresses » étaient enfermées.

« Elles avaient fait mourir leurs enfants en les privant de l’allaitement : toutes deux, entièrement nues, se tenaient blotties dans un coin. L’une mangeait du maïs cru ; l’autre, jeune et très belle dirigea sur moi ses grands yeux ; son regard semblait me dire : j’ai laissé mourir mon enfant, parce que je savais qu’il ne serait pas libre comme toi ; je l’ai préféré mort qu’esclave. La vue de cette femme me fit mal. Sous cette peau noire, ils se rencontrent des âmes grandes et fières ; les nègres passent brusquement de l’indépendance de la nature à l’esclavage, il s’en trouve d’indomptables qui souffrent les tourments et meurent sans être liés au joug. »

«L’esclavage a toujours soulevé mon indignation ; et je ressentis une joie ineffable en apprenant l’existence de cette sainte ligue de dame anglaise, qui s’interdisait la consommation du sucre des colonies occidentales… L’esclavage est une impiété aux yeux de toutes les religions ; y participer, c’est renier sa croyance : la conscience du genre humain est unanime sur ce point. » Pérégrinations d’une paria

 

28 juillet 1821 Indépendance du Pérou

A la proclamation de la République le 28 juillet 1821, par l’Argentin José de San Martin et le Vénézuélien Simon Bolivar à la tête des troupes rebelles composées en grande partie de Chiliens et d’Argentins, l’esclavage devait être aboli « graduellement ». Il fut rétabli dès le départ de Bolivar. Il faudra attendre 1854 pour une abolition définitive. Aujourd’hui, 10 % de la population du Pérou est d’origine afro descendante ou criollo (métisse) et reste mal intégrée.

 

 

Flora et le féminisme !

Femmes péruviennes

Elle s’intéresse à la place des femmes dans la société péruvienne. Lors de ses échanges avec sa cousine Carmen, elle constate leur absence de liberté et le « joug que représente le mariage » au Pérou aussi. Elle affirme combien la femme est pourtant « bien supérieure aux hommes » selon ses mots, mais méprisée, bafouée, violentée qu’elle soit puissante ou pauvre, elle est une victime.

Elle nous fait pénétrer dans les couvents d’Arequipa, où elle découvre derrière le luxe, des lieux de péché et d’oppression ou « règnent, dans toute leur puissance, les hiérarchies de la naissance, des titres, des couleurs de peau et des fortunes.»

Flora découvre au Pérou une nouvelle espèce de femmes, « les Ravanas », des lavandières qui accompagnent les soldats dans la guerre civile. Extraits voir l’article :

« Les Ravanas » qui pourvoient à tous les besoins du soldat, qui lavent et raccommodent ses vêtements, ne reçoivent aucune paye (….) : Elles sont de race indienne, en parlent la langue et ne savent pas un mot d’espagnol. Les « Ravanas » ne sont pas mariées (…) Et sont à qui veut d’elles. Ce sont des créatures en dehors de tout ; elles vivent avec les soldats (… ). Quand l’armée est en marche c’est presque toujours du courage, de l’intrépidité de ces femmes qui la précèdent de quatre à cinq heures que dépend la subsistance (…). Elles ont encore les devoirs de la maternité à remplir, on s’étonne qu’aucune n’y puisse résister. »

Comment en quelques mois, cette jeune femme a-t-elle pu rencontrer, fréquenter, observer les milieux sociaux les plus différents, opposés ou en conflits ? Certes, ses aventures, son intelligence, ses idées, sa jeunesse, sa fougue, sa beauté et la curiosité qui nous pousse tous à l’attirance pour la différence, l’étranger, l’Autre, tout cela a pu jouer mais si ses qualités indiscutables en ont fait un personnage reconnu et apprécié, sachant se placer au cœur de l’Histoire, c’est plus certainement ses relations et son statut de nièce de Juan Pio de Tristan y Moscoso qui l’introduisent dans tous ces milieux.

Flora à Lima

Lima, la capitale des rois, métropole de l’Amérique latine n’est guère plus grande qu’Arequipa. La population est estimée à moins de 80 000 habitants (d’après le peintre Alcide d’Orbigny). On appelle Lima la ville des rois, la cité fondée par Pizarro, en 1535, le jour de l’Épiphanie.

Le climat y est plus favorable qu’à Arequipa. Flora rencontre sa « belle » tante Manuela de Tristan, qui lui fera connaître la société Liménienne, plutôt sa haute société.

Les femmes de Lima

A Lima, à sa grande surprise, Flora découvre les femmes les plus libres du monde. Les femmes de la bonne société fument, parle d’argent, montent à cheval comme elles le veulent, et les dames avec leurs voiles – un vêtement très sensuel – sortent dans la rue toute seules pour faire les coquettes dans l’autonomie la plus complète.

« Il n’est pas de lieu sur la terre où les femmes soient plus libres exercent plus d’empire qu’à Lima. Elles règnent là sans partage ; c’est d’elles, en tout, que part l’impulsion. Il semble que les Liméniennes absorbent, à elles seules, la faible portion d’énergie que cette température chaude et enivrante laisse à ces heureuses habitantes. À Lima, les femmes sont généralement plus grandes, plus fortement organisées que les hommes. », écrit-elle.

Les femmes de Lima

La tapada del Limena femme voilée à Lima

« Ce costume, appelé saya, se compose d’une jupe et d’une espèce de sacs qui enveloppent les épaules, les bras et la tête, et qu’on nomme manto… Ce n’est qu’à Lima qu’on peut faire confectionner ce genre de costumes…le saya, ainsi que je l’ai dit, est le costume national  ; cette jupe, qui se fait en différentes étoffes, selon la hiérarchie des rangs et la diversité des fortunes …. toutes les femmes le portent ; il est respecté et fait partie des mœurs du pays, comme en Orient, le voile de la musulmane. »

Flora, continue ses visites, enquête dans les couvents. Constatant là encore l’ignorance et l’absence d’observations des règles conventuelles, elle profite de la visite du couvent de l’Incarnation pour monter sur sa tour y observer la ville :

« Cette superbe cité, lorsque l’œil plane sur elle, a l’aspect le plus misérable ; ses maisons non couvertes, font l’effet de ruines, et la terre grise dont elles sont construites à une teinte si sale, si triste, qu’on les prendrait pour les huttes de peuplades sauvages ; tandis que les monastères, les nombreuses gigantesques églises, construits en pierre, d’une élévation hardie, d’une solidité qui semble défier le temps, contraste d’une manière choquante avec cette multitude de masures. »

Francisca Zubiaga de Gamarra

 lire la vidéo en espagnol  : “La Mariscala”  

Elle fait la rencontre de Francisca Zubiaga de Gamarra (1803–1835), connue sous le nom de “La Mariscala” (le maréchal), l’épouse du général Camara héros de l’indépendance et président de la république (1829–1833), dont la figure pâlissait devant le caractère insoumis de sa femme.

Flora est présente à l’embarquement pour l’ exil de la Mariscala au port de Callao. Francisca Zubiaga de Camara succombera quelques mois plus tard au Chili, victime de la tuberculose. Elle ne fut nullement regrettée par les Péruviens qui se rappelaient ses sinistres excès.

« L’impression que m’avait laissée ma conversation avec la señora Camara m’agitait tellement que je n’ai pu dormir de la nuit », ajoute-t-elle.

Peut être que ces insomnies avaient d’autres causes. La señora de Camara était accompagnée par son secrétaire dans ce voyage, le beau colonel Bernardo Escudero, que Flora avait connue à Arequipa et qui avait succombé à son charme. Oui, un double déchirement : ce départ annonçait le sien quelques jours plus tard. Flora n’a pas caché cette relation amoureuse avec le beau colonel et pour la première fois a pensé au mariage  : « Ce fut – écrit-elle – La tentation la plus forte que j’ai éprouvée de ma vie . » Pourtant elle s’interdit d’épouser le colonel Bernardo Escudero car elle souhaitait, au même moment, « entrer dans la lutte sociale ». Voir article sur Zubiaga de Gamarra dit la Maréchale ici

Flora Tristan ; un bilan de son voyage au Pérou

Le port de Callao début du XIXè siècle

« Je fus néanmoins longtemps avant de me résoudre arrêter mon passage, non que je redoutasse beaucoup la mauvaise nourriture à bord d’un navire marchand anglais, mais parce que je désirais ardemment de m’en retourner par l’Amérique du Nord… J’arrêtais mon passage sur le William Ruston de Liverpool et qui filait droit à Falmouth.»

Reçue d’abord solennellement, elle est finalement bien acceptée par la famille paternelle. Lucide elle dépeint cette société coloniale bouleversée par d’incessants coups d’État, malade d’une impitoyable inégalité sociale. Elle dénonce le sort des indiens, l’esclavage, le rôle néfaste de l’Église, l’abrutissement du peuple, l’aliénation des femmes, dont elle fera la matière de son livre, les Pérégrinations d’une paria. Bredouille quant à l’héritage escompté, elle se voit promettre cependant une pension par l’oncle Pio.

Un voyage qui lui aura permis d’élargir sa vision du monde, et de passer de ses difficultés personnelles à un point de vue plus général sur les souffrances de l’humanité.

A son retour du Pérou, une militante, une écrivaine est née

Dès son retour en France, Flora publie une brochure, Nécessité défaire un bon accueil aux femmes étrangères, où elle révèle tout à la fois son engagement féministe, internationaliste et ce qui la caractérise un engagement concret, militant puisqu’elle propose de créer une association des femmes, afin d’obtenir la place qui leur est due, tout en prônant le socialisme et le dépassement des patries. Elle se nourrit des écrits de Saint Simon, Owen, écrit à Charles Fourier (1772 – 1837).

L’acharnement de son mari Chazal la soumet à des « tracasseries » permanentes, empêchant une rencontre avec Charles Fourrier :

« J’ose vous prier. Monsieur, de vouloir bien vous rappeler de moi lorsque le cas viendra où vous aurez besoin d’une personne dévouée, je peux vous assurer que vous trouverez en moi une force peu commune à mon sexe, un besoin de faire le bien, et une reconnaissance profonde pour tous ceux qui me procureront les moyens d’être utile. »

1835 La Phalange 

 

Malgré tout, elle rejoint un journal La Phalange, qui sous la direction de Victor Prosper Considerant (1808 -1893) philosophe, économiste et fouriériste (il fut le premier député en 1848 à proposer le droit de vote pour les femmes) ….. rassemble les premiers socialistes. Mais cela n’empêche pas Flora de critiquer les limites du groupe, l’absence d’actions pratiques et particulièrement de propositions d’organisations concrètes.

 

Les Pérégrinations d’une paria 

Flora publie dans différents journaux. En novembre 1837 paraît Les Pérégrinations d’une paria, sous l’épigraphe « Dieu, Franchise, Liberté. »

Le voyage au Pérou lui fait prendre conscience du fait que son identité, elle doit la construire elle-même, que tout n’est pas filiation ou loi du sang. Puisqu’on lui refuse toute légitimité, elle va,  « engendrer son propre principe identitaire, en confortant sa foi en elle-même ». « … l’appréciation de nous-mêmes est le préalable nécessaire au développement de nos facultés intellectuelles », dira Flora. 

A la fois autobiographique, ce livre est une étude critique sur la société péruvienne, qui lui vaudra d’être brûlé en place publique à Lima et à Arequipa ainsi que la suppression de la pension versée par l’oncle Pio. Avec ce livre, Flora Tristan atteint une première notoriété, ce qui décuple la jalousie de son mari André Chazal, l’incitant à passer à l’acte : il la blesse gravement en lui tirant dessus en septembre 1838.

Quelles traces Flora Tristan a t’elle laissé au Pérou ?

L’écrivain Vargas Llosa tout d’abord avec Le Paradis – un peu plus loin en 2003, écrit un livre qui nous parle de Flora, née en 1803 et de son petit fils Paul Gauguin, mort un siècle plus tard en 1903 seul dans sa case des îles Marquises. Le curieux rapport entre les deux dates, tout comme les liens de parenté entre le peintre et l’activiste politique, ne sont ici que le point de départ d’un récit qui met en scène leurs vies parallèles et leur destin commun.

Non, Flora Tristan n’est pas oubliée. Son ouvrage, accompagné par d’autres livres d’auteurs latinos américains, influencés par les idées nouvelles, subirent les mêmes autodafés sur la place publique.

Les pérégrinations, furent lues au Pérou. L’ouvrage a exercé une certaine influence sur l’histoire sociale et politique du pays, ne serait ce que par le scandale qu’il fit en dénonçant le rôle de l’oligarchie hispano-créole et celui de l’Église considérée comme une « religion vermoulue », l’esclavage , la condition des femmes et le sort réservé au primo occupants, les Indiens.

Parmi les lecteurs de ces Pérégrinations, Juan Bustamante (1808-1868), (député du Pérou voir article). Il prit la tête d’une «armée paysanne» pour obtenir des lois qui les protégeraient des abus et que des contributions équitables leur soient. Il sera avec ses partisans, assassiné par l’armée. Juan Bustamante est un des deux fondateurs de la Sociedad Amiga de los Indios (la Société de défense des indigènes) en 1867, la première organisation indigéniste de l’histoire du pays, qui est la source de l’indigénisme politique qui caractérise, depuis les origines, la gauche péruvienne.

Chronologie de Flora au Pérou et un peu plus

1833

Fin janvier arrivée à Bordeaux

7 avril : embarquement sur le Mexicain

18 août : arrivée à Valparaiso (Chili)

1er au 8 septembre : traversée de Valparaiso à Islay (Pérou) sur le trois-mâts américain le Léonidas

11 septembre : départ d’Islay

13 septembre : arrivée à Arequipa au palais des Tristan

18 septembre : tremblements de terre à Arequipa

29 octobre : rupture définitive avec Zacharie Chabrié

Novembre – décembre : visites des couvents d’Arequipa

1834

3 janvier : première rencontre de Flora avec l’oncle Pio. Déception l’oncle Pio s’ il la reconnaît comme sa nièce lui dénie tout possibilité d’hériter de son père.

23 janvier 1834:une révolution éclate à Lima entraînant des troubles à Arequipa

fin avril : embarquement sur la frégate anglaise The Challenger au port d Islay, débarquement à Callao, arrivée à Lima.

15 juillet embarquement au Callao, pour regagner l’Europe par l’Angleterre

1835

Janvier : retour à Paris, deux ans après son arrivé à Bordeaux en janvier 1833

8 Mai : mort de Francisca Zubiaga y Bernales à Valparaiso au Chili

Juillet : parution de Nécessité de faire un bon accueil aux femmes étrangères, brochure publiée sous ses initiales

Août : premier contact avec Fourier et les fouriéristes

Décembre : troisième séjour en Angleterre

1836

Septembre et novembre : deux articles publiés dans la Revue de Paris sur : les femmes de Lima et les couvents d’Arequipa. Prémices de son livre les pérégrinations d’une paria

1837

Janvier et février : toujours dans la Revue de Paris publications des lettres à un architecte anglais, esquisse des promenades dans Londres . (Parution en 1840)

Novembre : sortie du livre les pérégrinations d’une paria

Décembre : envoi d’une pétition aux députés demandant le rétablissement du divorce

1838

Mars : jugement de séparation de corps avec Chazal

Juillet : Don Pio suspend le paiement de la pension à Flora

Septembre ; attentat de Chazal contre sa femme (il ne lui reste plus que cinq ans à vivre)

Novembre : parution de Méphis, seul roman de l’auteur

décembre : publication et envoi aux députés d’une pétition réclamant l’abolition de la peine de mort

Sources

Œuvres de Flora Tristan consultées :

  • 1835, Nécessité de faire un bon accueil aux femmes étrangères. Gallica 1837, Babel livre de poche 2010

  • 1838, Méphis, roman Pérégrinations d’une paria cité

  • 1840, Promenades dans Londres, disponible sur Gallica 

  • 1843, L’Union ouvrière sur Gallica ; réédition Éditions des Femmes, suivie de lettres de Flora Tristan ; éd. préparée par Daniel Armogathe et Jacques Grandjonc

  • Le Tour de France. Journal 1843-44, publié à titre posthume sur Gallica ; nouvelle éd., Paris, La Découverte, 1980, 2 vol.

  • L’Émancipation de la Femme ou Le Testament de la Paria, publié à titre posthume, disponible sur Gallica et paru Mazeto square texte intégral 2018

Écrits sur Flora Tristan :

  • Flora Tristan la femme révoltée Dominique Desanti Hachette Littérature 1972 

  • Flora Tristan : La paria et son rêveStéphane Michaud, Sorbonne nouvelle,

  • 2003,Le Paradis – un peu plus loin de Mario Vargas Llosa Gallimard 2003

  •  Flora Tristan La Femme-messie, Évelyne Bloch-Dano, Livre de poche 2018.

  • Le destin tourmenté de Flora TristanOlivier Merle, Kang Yatsé éditions, 2018 : Biopic en bande dessinée.

Études sur Flora Tristan

  • Une romantique oubliée : Flora Tristan – Jean Baelen Bulletin de l’Association Guillaume Budé  Année 1970 éditions Persée

    Flora Tristan et la politique péruvienne par Pierre Luc Abramson Journée d’étude du 7 avril 2012 – La Colonie – Condé sur Vesgre

 

Séries d'articles : Flora Tristan au Pérou

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