Histoire de voir … histoires au pluriel
24 octobre 2023 à 13h00 au 24 octobre 2025 à 14h00
Nathalie COUTELET est Docteur en esthétique, sciences et technologie des arts, elle est Maître de conférences à l'Université Paris 8 département Théâtre
Elle s'intéresse aux concepts délicats de "démocratisation du spectacle" et de "théâtre populaire", ainsi qu'aux relations entre le spectacle et le politique, aux représentations de l'altérité comme enjeux esthétiques et politiques.
Elle a écrit plusieurs ouvrages.
Je vous propose un article publié dans LES CAHIERS DE L'IDIOT ie, dont voici le résumé :
Chocolat, une figure de l’altérité sur la piste
Chocolat se présente comme le premier clown noir français et le pionnier, avec Footit, de l’ évolution du clown vers le duo ou le trio, en composant des numéros davantage dialogués. Il cumule, ce faisant,les clichés traditionnels de l’ Auguste et ceux du Noir, qui, bien souvent, sont similaires. La confusion entre son personnage niais, passif, souffre-douleur et sa véritable personnalité de « Nègre » est tout à fait patente dans les critiques de l’ époque. C’ est sur son altérité que son succès s’est bâti, altérité immédiatement perceptible par sa couleur.
Le Noir, au talent inné de bouffon, selon les mentalités collectives, fut à la fois un Auguste singulier,grâce au talent de Chocolat.
A lire l'excellent article sur Chocolat, une figure de l'altérité par Nathalie Coutelet
HISTOIRE DES ARTISTES NOIRS DU SPECTACLE FRANÇAIS
Une démocratisation multiculturaliste
Nathalie COUTELET
A la fin du XIXe siècle, des artistes noirs commencent à se produire dans le spectacle français. La réception de leurs pratiques artistiques est symptomatique à la fois du paradoxe républicain, porteur de valeurs telles que la liberté et l'égalité, mais aussi agent de l'expansion coloniale. Ils s'inscrivent dans le dialogue entre les cultures qui commence timidement à se nouer et dans le questionnement du système républicain universaliste qui bloque le développement des particularités culturelles. Le clown Chocolat, Habib Benglia, Féral Benga et Joséphine Baker sont quelques exemples emblématiques de la situation des artistes noirs en France : perçus en fonction des stéréotypes négatifs dominants, mais également source de réflexion sur les transformations des formes et pratiques spectaculaires, en particulier pour les avant-gardes. Leur histoire, loin d'être remisée à un lointain passé, pose ainsi une question d'actualité sur la situation des artistes noirs de France, de leur traitement médiatique et artistique, de leur insertion professionnelle et, plus généralement, de la possibilité d'un fonctionnement multiculturel sur le territoire.
DÉMOCRATISATION DU SPECTACLE ET IDÉAL RÉPUBLICAIN
Nathalie COUTELET
S'interroger sur l'histoire de la démocratisation du spectacle permet de questionner notre situation contemporaine en regard du passé : est-ce un combat caduc ou gagné ? Le spectacle est- il aujourd'hui potentiellement accessible à tous et porteur de valeurs citoyennes ? La démocratisation du spectacle est un vaste mouvement, qui dépasse celui du théâtre "populaire" et englobe également des formes plus politiques.
Le terme même de "démocratisation" indique le lien qui l'unit à l'idéal républicain. Idéal, parce que la démocratisation du spectacle est bien souvent proche de l'utopie, de l'inlassable quête : celle d'un spectacle éducateur et ciment de la communauté citoyenne, principe actif de cohésion sociale. Des Universités Populaires à Meyerhold, en passant par Firmin Gémier, Octave Mirbeau, Romain Rolland, Erwin Piscator ou le groupe Octobre, les tentatives qui visent à rendre le spectacle accessible à tous et à en faire plus qu'un divertissement sont légion.
Elles portent en elles les bases de l'idéal républicain : progrès, éducation engagement, émergence des masses, universalisme. Elles engagent donc, au-delà de l'histoire de la dramaturgie et de la mise en scène, une vision profonde des rapports entre art et société.