Histoire de voir … histoires au pluriel
24 octobre 2023 à 13h00 au 24 octobre 2025 à 14h00
FOOTTIT ET CHOCOLAT
C'est un peu l'histoire de cette toile. Lorsque je l'ai peinte en 1979 presque en secret (voir article "jOUR DE CIRQUE" , de l’atelier à la piste), j'avais l'impression intime de pénétrer dans un monde ou l'exubérance et le contraste dépasse le clair obscur.
Pour moi rien n'était habituel dans son exécution. En bon débutant, je voulais faire une grande œuvre, cela commençait mal; de plus sur un grand format comme ceux qu'employaient Henry Simon, Joël Dabin, Jean Chevolleau … mais je n'avais pas le sou pour me payer une telle toile de 120X80.
Plus intimement je pense que je voulais faire une grande toile comme celles que peignait André Astoul mon grand père dans les années 1920, ce genre de portrait remarquable, pour les grands salons d'automne ou des indépendants.
Faute de Grives on mange des Merles, alors je me suis rabattu sur un support plus simple, plus rustique : une épaisse feuille de Kraft d'emballage, récupérée chez mon voisin l'imprimeur le père Bichon, et que je marouflais sur un châssis entoilé de jute.
Bien évidemment, peindre à l'huile était une nécessité pour engendrer le prestige et le sujet se devait d'être tout au moins remarqué.
Comme je vous l'ai précédemment confié dans mes articles sur le cirque, la piste hantait déjà mon univers. Ce mythe, qui n'était pas encore devenu pour moi réalité, se nourrissait, faute d'internet, de récit, de gravures, de dessins, d'images de toutes sortes, glanés ici ou là dans les bibliothèques ou dans de magnifiques livres offerts en différentes occasions.
Un jour, mon attirance pour le paradoxe se focalisa sur des dessins de Toulouse-Lautrec représentant un Clown Noir. Plus tard je trouvai des photos de lui en compagnie d'un Clown Blanc. J’appris que ce Clown blanc "Foottit" avait pour faire-valoir un Auguste noir nommé "Chocolat".
La représentation de ce duo insolite Foottit et Chocolat excitait mon fantasme plus enclin à la création de costumes et décors imaginaires qu'à la réalité Historique.
Ce n'est que des années plus tard (2001) que j’appris l'histoire de cet Auguste Noir par une révélation que me fit un jeune Homme poussant la porte de mon atelier de la rue des Loges, intrigué par cette toile dans ma vitrine.
– Bonjour Monsieur,vous aimez le cirque me dit-il timidement.
– Oh oui, répondis-je avec empressement, c'est une part de ma vie ! Achille Zavatta, Firmin Bouglione, Gruss, les chapiteaux Morallès, Beautour …
– C'est Qui ? me questionna-t-il en scrutant ma toile.
– C'est "Foottit et Chocolat" lui répondis-je fièrement, un duo insolite et très célèbre, grand succès du début du XXème siècle.
– Vous les avez connu, insistât-il les yeux émerveillés?
– Non hélas ! j'ai fait ce tableau avec quelques documents dessins et photographies. Ce qui me fascinait c'était que le souffre douleur "Chocolat l'Auguste, crevait la piste, prenait le pas sur "Foottit" le clown blanc. L'ombre de son visage devenait pour moi lumière d'humanité à l'inverse du clown blanc inondé de sa suffisance. Non, je ne l'ai pas connu Hélas…
– Vous ne l'avez pas connu et pourtant c'est bien Lui, m'affirma-t-il le regard dans son cœur. Ma mère et ma grand-mère seraient fières de voir ainsi Raphaël mon grand-père…
Cette toile à défaut d'être le clou de salon de peinture comme à l'époque de mon grand-père a croisé le regard de celui pour lequel inconsciemment je l'avait peinte, le petit fils de Chocolat.
Cette toile repose aujourd'hui dans l’anonymat de mes casiers, un peu comme ce petit esclave cubain acheté par un courtier espagnol, puis engagé à Paris par Foottit le clown et qui, bien qu'il dépassa très vite son maitre dans une carrière fulgurante, décède quelques années plus tard, inconnu, au cirque Rancy. Il repose aujourd'hui à Bordeaux dans le plus strict anonymat. En effet, de son Prénom Raphaël, de son surnom Chocolat, sans nom de famille, la république française ne pouvait administrativement lui reconnaître une identité. Drôle d’apatride pour un Homme qui sema le rire et le bonheur plutôt que la terreur.
J'ai remis aujourd'hui cette toile dans ma vitrine et sur mon blog, pour honorer sa mémoire mais d'autre le feront avec infiniment plus de talent . Courrez voir ce film qui parait bientôt dans les salles : " C H O C O L A T ".
Bien cordialement . Antoine RAVEZ – le 28 01 2016