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24 octobre 2023 à 13h00 au 24 octobre 2025 à 14h00
Louis Delgres, le héros anti-esclavagiste
Bien sûr il y a Toussaint Louverture héros de l’Indépendance Haïtienne, mais à la Guadeloupe Louis Delgrès, fut un autre martyr de la lutte anti-esclavagiste.
Après le décret du consul futur empereur Napoléon Bonaparte qui en 1802 annulant sous la pression des planteurs l’abolition de l’esclavage par décret du 4 février 1794, Louis Delgrès va mener la résistance.
Il fut avec plusieurs centaines de ses compagnons républicains anti-esclavagistes, massacrés par les troupes du général Richepance qui une fois Louis Delgrès éliminé, sous la contrainte rétablirent la loi coloniale.
Un excellent article trouvé sur le blog.
L’esclavage est une de ces institutions qui durent mille ans si personne ne s’avise de demander pourquoi elle existe, mais qu’il est presque impossible de maintenir le jour où cette demande est faite.
Voici ce qu’écrit Alexis de Tocqueville en 1839 en tant que rapporteur de la commission relative aux esclaves des colonies. L’auteur De la démocratie en Amérique est farouchement convaincu que l’esclavage est un scandale en soi et un fléau pour la société, militant pour son abolition immédiate d’autant que les Anglais ont émancipé les Noirs des colonies britanniques le 1er janvier 1838. Il faudra dix ans de plus pour que l’abolition devienne réalité, et alors même qu’une première émancipation était intervenue un demi-siècle plus tôt par la Convention nationale.
Le 4 février 1794, la convention nationale sur proposition de l’abbé Grégoire avait en effet aboli l’esclavage dans les colonies françaises, faisant ainsi droit à la Société des amis des Noirs qui depuis 1788 militait pour mettre fin à la traité négrière autorisée depuis 1635 et abroger le code noir en vigueur depuis 1685,
Réjouissances à l’annonce de l’abolition de l’esclavage, le 16 pluviôse an II (4 février 1794)On ne dira jamais assez le mal absolu causé par Bonaparte de rétablir l’esclavage en 1802. Mais le Premier consul de la République Napoléon Bonaparte sous la pression des planteurs créoles des Antilles françaises, défendus par Joséphine de Beauharnais, rétablissait le 28 mai 1802, l’esclavage dans ces mêmes colonies françaises.
Joséphine de Beauharnais, créole martiniquaise esclavagiste, impératrice de France, tableau du Baron Gros, 1808, musée des Beaux-Arts Masséna de Nice
Cette décision consulaire va conduire à perpétuer la traite négrière 16 ans de plus et maintenir l’esclavage quarante six ans de plus, jusqu’à ce que deux cent cinquante mille personnes bénéficient de l’abolition définitive par le décret du 27 avril 1848.
Décision de la Convention d’abolir l’esclavage le 16 pluviôse an II (4 février 1794)
Dans l’immédiat, le rétablissement de l’esclavage dans la colonie de Guadeloupe va être à l’origine d’une tragédie entrée dans la légende aux Antilles, mais qui demeure largement méconnue en France métropolitaine : sous l’impulsion de Louis Delgrès, un officier demeuré fidèle aux idéaux révolutionnaires, une partie de l’armée en place dans l’île va en effet s’opposer aux troupes du général Richepance envoyées par Napoléon Bonaparte pour restaurer l’autorité de la France sur l’île toujours menacée de tomber sous l’influence britannique et par la même occasion rétablir l’esclavage.
Buste de Louis Delgrès, héros de l’abolition de l’esclavage (1766-1802)
Louis Delgrès est un homme né libre de couleur, d’un blanc créole martiniquais, receveur du Roi à Saint-Pierre puis à Tobago. Il entre dans l’armée royale en 1783 où il devient sergent puis poursuit sa carrière dans les armées révolutionnaires, se battant contre les Anglais dans différentes îles des Antilles. Courageux et combatif, il est nommé tour à tour lieutenant, capitaine, commandant avant d’être envoyé par la Convention en 1799 en Guadeloupe, où il devient en octobre 1801 aide de camp du capitaine-général de Lacrosse. Ce dernier, un mois plus tard est emprisonné puis chassé de Guadeloupe, se réfugiant dans l’île voisine de la Dominique. Delgrès se rallie aux rebelles, devient chef militaire de l’arrondissement de Basse-Terre, lorsque l’escadre transportant les troupes envoyées par le consul Bonaparte est annoncée.
Fort Delgrès, ancien fort Saint-Charles à Basse-Terre, Guadeloupe
C’est le moment que choisit Delgrès pour publier, le 10 mai 1802, le manifeste du créole martiniquais Monnereau : à l’univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir.
Décidé à résister aux troupes du Général Richepance qui viennent de débarquer à Basse-Terre, Delgrès accompagné de trois cent hommes fidèles à la devise révolutionnaire Vivre libre ou mourir, se réfugie au fort Saint-Charles de Basse-Terre où les rebelles se retrouvent encerclés. S’enfuyant par la poterne qui mène à la rivière du Galion, ils rejoignent alors, en remontant la rivière, les hauteurs de Basse-Terre, à Matouba, au pied même du volcan de la Soufrière.
Pont du Galion à Basse-Terre, construit sous le règne de Louis XIV, le pont dont la construction fut alors la plus coûteuse du royaume
Pourchassés par les troupes de Richepance, l’arrière-garde ayant été balayée, sans aucune perspective de renverser la situation militaire, c’est sur ces hauteurs de Matouba, à l’habitation Danglemont, que Delgrès et ses compagnons décident de se suicider à l’explosif, le 28 mai 1802.
De son côté, le général Richepance, respectant les ordres donnés par le consul Bonaparte, rétablit immédiatement l’esclavage sur toute la Guadeloupe, exécutant plusieurs centaines d’anciens esclaves devenus hommes libres qui refusent de revenir à leur état antérieur d’esclaves, huit ans après l’abolition intervenue en 1794.
Cette implacable restauration de l’esclavage est une décision incroyable qui jette sur le règne de Bonaparte un voile immense de cruauté, rarement évoquée, précédant de deux ans le sacre de l’Empereur et de trois ans Austerlitz.