Histoire de voir … histoires au pluriel
24 octobre 2023 à 13h00 au 24 octobre 2025 à 14h00
Hany Abu-Assad, réalisateur d'“Omar”
“A travers le cinéma, je combats pour la liberté.”
Film palestinien 1h36mn - Classification: Tous publics - Drame - VO st Fr Distribution: Adam Bakri, Waleed Zuaiter, Samer Bisharat, Foad Abed-Eihadi, Leem Lubany, Eyad Hourani, Wafaa Aon, Rohi Ayadi
Le scénario Omar vit en Cisjordanie. Habitué à déjouer les balles des soldats, il franchit chaque jour le mur qui le sépare de Nadia, la fille de ses rêves qu'il veut épouser, et de ses deux amis d’enfance, Tarek et Amjad. Révoltés par la situation politique du pays, les trois jeunes gens ont décidé de créer leur propre cellule de Résistance. Ils s'entraînent au tir quotidiennement et sont prêts à passer à l’action. Leur première opération tourne mal. Un soldat israélien est tué. Les autorités les repèrent rapidement et arrête Omar. L'inspecteur lui propose un marché : celui de donner ses camarades de combat. Le jeune homme refuse de collaborer...
Très beau film. Le premier financé directement par le cinéma palestinien, présenté à Cannes cette année. C'est avant tout un polard brillant qui nous montre, dans ce pays prison, la vie de cette jeunesse, coincée entre modernité et tradition, et qui comme tous les jeunes du monde aspire à l'amour, l'amitié et à la joie. Les blagues fusent, un peu lourdes, mais celle de la chasse aux singes au Mozambique (pourquoi le Mozambique?) aboutira à la conclusion de l'histoire, un acte de résistance d'Omar à la politique de l'occupant, préservant Nadia son amour et son honneur. Le film nous renvoie à travers ces violences physique, morale, ces humiliations brimades diverses à comprendre cet Etat de non droit, l'ordinaire du Peuple palestinien. L'état israélien, son armée, sa police, ses lois ségrégationnistes imposent une terreur permanente. La Cisjordanie n'est qu'enfermement. Prison réelles, Mur, dédales des ruelles, emprisonnement, tortures sans explication, mouchardages, manipulation psychologique, sont le quotidien des palestiniens, sans espoir d'en sortir. La seule fenêtre ouverte sur le Monde est celle de la télé ou d'internet. Mais le film c'est aussi la beauté incarnée par les jeunes acteurs de ce drame. Nadia (Leem Lubany) et Omar sont troublants de fragilité de pudeur, ils sont amour. Nadia par son amour transforme Omar en oiseau qui saute le mur, vole et l'entraine à sa suite, rêvant d'un voyage à Paris, rêve qui ne pourra se réaliser d'ailleurs. Enfin l'histoire tourne à la tragédie et à l'affrontement, la trahison entre amis, rien ne leur sera épargné, manipulé qu'ils sont par la police. Le dénouement est à l'image du film. Violent mais attendu.
Jean Pierre Lefèvre
Interview de Hany Abu-Assad paru dans Télérama Défenseur d'un cinéma de genre qui soit également politique, ce réalisateur palestinien a imposé son style avec Paradise Now (2005), film à suspense sur les attentats à la bombe dans les bus israéliens. Après une expérience infructueuse aux Etats-Unis, Hany Abu-Assad est de retour sur ses terres avec Omar. Un thriller mené avec talent, et qui ne manque pas de poser des questions. Les voici. Omar est un thriller d'un genre nouveau : un thriller palestinien. Comment le définir ? C'est un mélange. J'ai voulu mêler la dynamique du thriller américain, l’esthétique du thriller français dans la tradition de Jean-Pierre Melville, et l’humour du thriller égyptien, qui est très divertissant. J'ai par ailleurs mélangé le thriller avec une histoire d'amour, ce qui ne va normalement pas ensemble. Je ne voulais pas simplement reprendre une tradition, mais créer quelque chose de nouveau, élever ce genre et lui donner une nouvelle dynamique. Extrait du film Omar. Où avez-vous vu tous ces différents thrillers ? A Nazareth, là où je suis né. Il y avait, quand j’étais jeune, un cinéma qui s’appelait le Diana. On pouvait y voir toutes sortes de films, des mélodrames turcs, des films d’action égyptiens, des films de série B américains ou des films de superhéros, et des thrillers. Mais pas beaucoup de films européens, malheureusement. Plus tard, un ciné-club a été créé à Nazareth, par un passionné qui montrait aux étudiants les films de Godard, Truffaut, Bertolucci, Visconti, Carlos Saura, Pasolini, Wim Wenders, Fassbinder, Ken Loach. Il les réunissait tous dans une famille qu’il appelait le cinéma alternatif. J’ai beaucoup appris grâce à ce ciné-club. Plus tard encore, j’ai fait des études d’ingénieur en Hollande et j’ai continué à explorer d’autres cinémas, notamment ceux d’Iran et de Chine. Est-il encore possible de voir autant de films pour les jeunes de Nazareth aujourd'hui ? C’est encore plus facile pour eux, ils téléchargent tout ce qu’ils veulent sur Internet. Mais ce n’est pas ça qui aide à rendre populaire ce qu’on pourrait appeler le cinéma alternatif d’aujourd’hui. Le Diana n’existe plus depuis les années 1980, c’est devenu une méga pharmacie. Je me dis toujours que si j’en avais les moyens, je la rachèterais pour en refaire un cinéma et y montrer des films intéressants. Hany Abu-Assad sur le tournage de Omar. DR Avant Omar, vous avez tourné un film d'action aux Etats-Unis, The Courier, qui n'est pas sorti en France. C'était une mauvaise expérience ? C’était une expérience. On m’a proposé de venir tourner un film américain, pourquoi aurais-je dit non ? Je voulais tenter ça. J’ai échoué mais j’ai appris davantage par cet échec que par mes succès. Je n’aurais pas pu faire Omar sans ce passage par les Etats-Unis. Omar est aussi un thriller politique. Peut-on dire que le film reflète, par-delà le suspense, un aspect du conflit israélo-palestinien ? Oui. Pour écrire Omar, j'ai rencontré des gens qui avaient été emprisonnés, interrogés par les Israéliens et forcés de devenir des indicateurs, des collaborateurs. Maintenant, des Palestiniens me remercient d'avoir montré cela dans mon film. Cela me rassure car j’avais peur qu’on me dise que le film ne montrait pas la réalité, justement parce que c'est un thriller. J'ai voulu utiliser la situation politique des Palestiniens, à la fois pour sa vérité, car il s'agissait de raconter l'histoire de gens qui pourraient vraiment exister, et en tant qu’obstacle servant la dynamique du récit. Le mur construit par les Israéliens en Cisjordanie était, pour cela, une image parfaite. Qui raconte à elle seule toute une réalité. Et qui représente l'obstacle, permet de le visualiser à l'image. C'est une image qui a aussi quelque chose d'universel, et je voulais que le film puisse aussi être apprécié au-delà du présent où il se situe. Il s'agit de raconter une histoire qui dure depuis des siècles et n’est pas terminée. Une situation de domination où toutes sortes de techniques de pouvoir sont à l’œuvre pour priver les gens de leur dignité. Pour leur faire comprendre qu’ils sont impuissants et que la seule chose qu’il leur est possible de faire, c’est d’obéir aux règles. Vous montrez cela dans votre film en prenant du recul. Vous n'êtes pas pris vous-même dans la dureté du conflit ? Quand j’étais jeune, je voulais devenir un combattant pour la liberté. Ma liberté et celle des Palestiniens. Je voulais me battre, car qui d'autre le ferait pour moi ? Quand on est jeune, on n’a pas beaucoup de façons de s’emparer de la vie. Le combat en était une. Mais on ne peut pas se déclarer combattant tout seul, il faut être intégré à un mouvement. Ça ne s’est pas fait, pour des raisons finalement assez banales, notamment parce qu'on ne me trouvait pas la force physique pour ça. Alors, je me suis emparé de la vie à travers le cinéma. Et quand je l'ai fait, c’était toujours en me considérant comme un combattant pour la liberté. Mais avec les armes d'un réalisateur. A voir