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Évènements associatifs

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“Science sans conscience n’est que ruine de l’âme… ” nous dit Rabelais.
Ou comment éliminer les gilets jaunes grâce au transhumanisme nouvelle doctrine eugéniste, relayée lors d’une conférence à Polytechnique, école des futurs élites, avec la bénédiction d’une députée de la LREM, elle même se considérant comme produit de “l’élite” de ce Nouveau Monde. Une vision antirépublicaine, ou le racisme de classe est déployé sans Etat … d’âme .
J’exagère et bien lisez l’article bien documenté et qui est le fruit de cette intervention ayant eu lieu dans une des plus grandes écoles de l’élite française, avec l’accord des autorités et parrainé par une député de la République. Ce n’est pas du complotisme mais la dangereuse réalité .

Apprentis sorciers

Il est intéressant de lire cet article et voir ce qui se cache derrière ce Nouveau Monde et sa “Révolution” ou les datas center et autres algorithmes sont au service d’une Intelligence Artificielle, qui pensent ils peut être sincèrement régleront ligne d’horizon des premiers de cordées leur ouvrant l’espoir d’en faire parti et d’éliminer une population “non rentable” inutile à leurs yeux. Un véritable eugénisme numérique, programmé pour le “bien de leur inhumanité”. Tant pis pour les faibles, les pauvres, les malades ou les déviants. Big Brother les éliminera pour le bienfait de la société de robots qu’ils servent déjà. A propos de l’article de DAVID AFFAGARD paru sur Médiapart le 6 mars.

Au sein de l’école Polytechnique, le médecin transhumaniste Laurent Alexandre, en conférence, défend l’apprentissage de l’intelligence artificielle pour « en finir avec ces gilets jaunes ». Cet événement du lundi 14 janvier 2019 était présenté et parrainé par la députée En Marche de l’Essonne, Amélie de Montchalin.

Dans le cadre des « Tables rondes du plateau de Saclay » du 14 au 18 janvier 2019, trois grandes écoles de la République, Polytechnique, CentraleSupelec et Normale Sup, conviaient leurs étudiants pour « une semaine de réflexion sur l’homme augmenté » en organisant trois conférences et débats sur le thème du transhumanisme.

La séance inaugurale de ce lundi 14 janvier, au sein de l’école Polytechnique, lance le débat avec une grande dissertation eugéniste transhumaniste de Laurent Alexandre qui a stigmatisé une population déclassée qualifiée de « gilets jaunes », et qui a sommé son auditoire, la future élite des ingénieurs, de devenir expert en intelligence artificielle pour gouverner le nouveau monde, pour « en finir avec ces gilets jaunes » et « les inégalités intellectuelles » qu’ils représentent. Cette conférence était longuement et officiellement introduite par la députée En Marche de l’Essonne, Amélie de Montchalin, marraine de l’événement.

Une vidéo de l’intégralité de cette conférence est en ligne ici : https://www.youtube.com/watch?v=-WRMZaGpCZ4

Le centre du propos de Laurent Alexandre est le suivant : de notre chemin vers 2050, émergera une classe d’humains inutiles, la classe des gilets jaunes, une classe de personnes qui ne seront pas ou plus employables.

Laurent Alexandre, né en 1960, chirurgien-urologue en conférence à Polytechnique le 14 ffévrier 2019

Laurent Alexandre, né en 1960, chirurgien-urologue en conférence à Polytechnique le 14 février 2019. Le conférencier Laurent Alexandre profère que « cette affaire des gilets jaunes, nous en avons pour cent ans »« J’adore les gilets jaunes, ajoute-t’il, mais je ne pense pas que ce sont les gilets jaunes qui vont gérer la complexité du monde qui vient, […] le monde complexe de demain ne peut être géré que par des intellectuels. » ( Vidéo conférence à 26‘13“ ), car, pour Laurent Alexandre, les gilets jaunes ne sont que des « groupes de populistes qui se sont réunis sur Twitter » ( Vidéo conférence à 26‘42“). Au cours de cette conférence, il cite mais déforme les travaux de l’historien israélien Yuval Noah Harari. Alexandre entérine froidement l’utilisation généralisée et inévitable des algorithmes pour façonner une nouvelle intelligence dite artificielle au profit d’une classe supérieure, alors que Harari nous alerte en écrivant que « plus que du chômage de masse, nous devrions nous inquiéter du glissement de l’autorité des hommes aux algorithmes, lequel risque de détruire le peu de foi qui subsiste dans le récit libéral et d’ouvrir la voie à l’essor de dictatures digitales ». ( « 21 leçons pour le 21ème siècle » – Y. N. Harari – p.61 ). En nous attardant sur l’œuvre d’Harari, nous expliquons ici ce qu’il appelle le « récit libéral ».


Le capitalisme, ou l’espoir d’un futur meilleur

En résumé, dans son œuvre écrite, Yuval Noah Harari alerte les consciences sur le danger de voir la technologie supplanter l’homme, de voir l’homme perdre le contrôle de sa destinée en léguant au monde numérique la gestion de la complexité humaine et finalement de voir l’humanité perdre son sens.

Harari présente là un risque qu’il faut prendre au sérieux, mais qui n’est aucunement une fatalité. Harari signale qu’il y a urgence pour le genre humain à garder le contrôle, et que s’impose une remise en cause des méthodes classiques et datées, devenues doctrines, par lesquelles nos sociétés se sont construites, en particulier le capitalisme.


Le contrat social, fondement du libéralisme

Harari distingue le capitalisme du libéralisme, ce que ne fait pas Laurent Alexandre. Harari distingue aussi le libéralisme du libéralisme économique.

La capitalisme apparaît entre le 13ème et 14ème siècle en Europe occidentale entre la République de Venise et Bruges en Flandres. Ce sont les premières places marchandes où apparaissent les obligations pour financer les expéditions terrestres vers le marché oriental ou l’armement de flottes destinées au commerce maritime. Le moteur du capitalisme, comme le décrit Harari, est l’espoir d’un futur meilleur. Cet espoir convainc les riches marchands à prêter leur argent, plutôt que de le dépenser, avec en retour l’espérance de gains matériels supérieurs. L’essor de ce capitalisme naissant conduit à la fin du 15ème siècle à l’investissement dans l’aventure des grandes découvertes puis dans le marché triangulaire et plus généralement la colonisation qui s’accompagnera d’un cortège d’eugénismes étatiques qui, pendant des siècles, plongeront les états et les peuples de tous les continents dans des conflits meurtriers pour la défense des droits indigènes.


Le contrat social, fondement du libéralisme

Le libéralisme dont parle Harari est le libéralisme de John Locke, médecin philosophe anglais du 17ème siècle qui éclairera par sa pensée la philosophie des Lumières, la déclaration d’indépendance américaine de 1776 et par voie de conséquence la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

John Locke 1632-1704 , médecin et philosophe anglais

John Locke 1632-1704 , médecin et philosophe anglais

Dans une Angleterre en crise d’autorité religieuse, John Locke propose avec sa « Lettre sur la Tolérance » en 1667 et « Sur la différence entre pouvoir ecclésiastique et pouvoir civil » en 1674, une société où la conscience de l’homme, qui « connait l’état de nature », est libérée du sceau féodal et divin. Ce sont les prémices de la laïcité politique, et du libéralisme. Selon John Locke, le religieux n’a plus à exercer de pouvoir sur les consciences, ce pouvoir doit être assumé par un pouvoir autre, un pouvoir politique lui-même établi sur la base d’un « contrat social », le même « contrat social » que développe Jean-Jacques Rousseau, contemporain et adepte de cette mouvance amorcée par John Locke : l’homme appartient à la société quand il place sous l’autorité du contrat social la liberté qu’il doit à son « état de nature ». L’homme passe ainsi de « l’état de nature » à « l’état civil », c’est la création du libéralisme, un libéralisme qualifié aujourd’hui de libéralisme social.

Dans notre modernité, depuis la République de 1789 et le développement des sciences et de la médecine, l’état de nature devient « l’égalité biologique ». C’est la conscience des Lumières qui fit émerger l’égalité biologique en donnant la même valeur à toutes les vies humaines : riche, noble, paysan, bourgeois, ouvrier, homme, femme. L’égalité biologique doit s’articuler avec l’égalité sociale grâce au « contrat social ».

En occident, la femme eut quelques difficultés à être considérée comme l’égal biologique de l’homme. L’égalité biologique femme-homme, condition nécessaire à l’égalité sociale, ne fut reconnue que tardivement car nous eûmes à nous libérer des barrières physiologiques et psychologiques dressées et entretenues par des morales religieuses phallocrates. Il est encore des religions qui revendiquent l’inégalité biologique : une femme devient impure et intouchable, lorsqu’elle a ses règles, et nombres de leurs disciples acceptent et pratiquent cette doctrine. Aujourd’hui l’égalité femme-homme est encore difficile à partager et la cause féministe est toujours en lutte alors que l’égalité biologique gagne du terrain vers la condition animale avec l’antispécisme. Les antispécistes revendiquent pour l’animal une égalité biologique prémices d’une égalité sociale pour faire sortir la condition animale de la domination eugéniste que l’humain lui impose. Dans notre civilisation, une poule qui pond un œuf n’a rien d’impure, c’est, au contraire, une offrande. Mais la poule n’est pas (encore) engagée dans une lutte pour l’égalité sociale.

La vie réduite à une somme d’algorithmes

Mais Harari révèle que les connais
La vie réduite à une somme d’algorithmes sances amènent aujourd’hui les biologistes à considérer la vie humaine (et la vie en général) comme « un assemblage d’algorithmes organiques façonnés par la sélection naturelle » pour lesquels, finalement, le support organique ou inorganique importe peu ( « Homo Deus, une brève histoire du futur » – Y. N. Harari – p.343 ). Ce constat est le fruit du développement des sciences du 17ème siècle jusqu’à nos jours, un développement rationnel analytique, validé par les résultats spectaculaires des prédictions qui permettent tant de soigner une angine que de modifier un gène pour un maïs résistant à la pyrale et tolérant aux herbicides. La pratique scientifique du vivant est telle qu’aujourd’hui, grâce à la puissance du numérique, il semble aux biologistes que tous les faits du vivants soient déterminables et se calculent, telle une mécanique céleste généralisée, et peuvent finalement se réduire à des super-équations, du décryptage exhaustif, des algorithmes. Ces considérations bouleversent la question de l’égalité biologique. La vie biologique réduite à une somme d’algorithmes est baptisée « dataïsme » : l’accumulation et le traitement massif de la donnée (data en latin) alimentent les algorithmes et supplantent l’homo sapiens dans la maitrise de la connaissance. L’homme « algorithme » devient transposable sur des supports inorganiques grâce aux biotechnologies, il devient « l’homme augmenté », un homme aux capacités physiologiques décuplées par la puissance du numérique.

La trilogie, best-seller mondial, d'Harari

La trilogie, best-seller mondial, d’Harari

Une conscience fonde un contrat social.

Mais, signale Harari, la biologie et les sciences en général ne se sont jamais préoccupés de la conscience. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », écrit l’humaniste François Rabelais dans « Pantagruel » en 1532. C’était un credo politique et la question de la conscience est restée à ce jour une question politique, car nul ne peut témoigner de l’existence de l’âme… ni par la science, ni par les biotechnologies, ni par le numérique.

Il existe dans l’histoire des prises de conscience spectaculaires, par exemple la Controverse de Valladolid. Cette controverse est née d’une « prise de conscience » du souverain Charles Quint qui, bien conseillé, s’interrogea sur le bien fondé de l’homme européen blanc à dominer, voire à exterminer, les indiens d’Amérique du Sud. Cette controverse a reconnu l’égalité biologique des amérindiens du sud. En conséquence elle a reconnu leur culture. Cette prise de position par le royaume d’Espagne, appuyée par l’église de Rome, a été déterminante dans l’évolution du continent sud-américain. Elle a valu des conflits entre les grandes puissances européennes de l’époque, et surtout elle fut un désastre pour le peuple noir d’Afrique qui, dans le verdict de la Controverse, a été décrété par l’église catholique comme un peuple de sous-hommes pouvant être réduits à l’esclavage. Il s’agissait là d’une compensation donnée aux conquistadors et colons privés des esclaves amérindiens. L’apartheid a duré jusqu’au 20ème siècle, nos peuples en portent encore des cicatrices douloureuses, le racisme demeure même s’il n’est plus légal. Une conscience fonde un contrat social. L’écoute de la conscience est un acte politique.

La question de la conscience se marie à la question du contrat social, elle participe à sa définition, elle nourrit la constitution d’un pouvoir politique qui doit répondre du contrat social pour « faire société ». Notre République avec son « récit libéral » est la base du contrat social qui nous unit depuis 1789 au travers de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Elle est notre conscience collective. Mais jusqu’à quand?

Dans le façonnement du « récit libéral » contemporain, le capitalisme entre à nouveau en jeu. Les vertigineuses potentialités du numérique sont une source de motivation pour le capitalisme. L’espoir d’une vie meilleure, ce paradigme qui anime le capitalisme depuis les grandes découvertes du 15ème siècle, anime toujours le capitalisme du 21ème siècle. Et quoi de plus enthousiasmant qu’un espoir de vie meilleure appliqué au vivant lui-même! C’est une mise en abîme quasi-extatique du moteur capitaliste…


L’intelligence sans conscience est une mort économique annoncée

Aujourd’hui, ignorant la nature de la conscience, le capitalisme et sa classe dirigeante transfèrent le pouvoir aux algorithmes numériques pour créer l’intelligence artificielle qu’ils mettent en compétition, sur le terrain économique et social, avec l’intelligence humaine. Le numérique est une aubaine pour le capitalisme car, quelque soit la science, le numérique va plus vite, il est plus fiable et permet plus de profits.

Mais quel est le réel niveau d’intelligence de l’intelligence artificielle ? Est-ce que singerl’homme suffit à être intelligent ?

Qu’est ce que l’intelligence artificielle aurait pu dire de cette constante qui apparut aux physiciens du 19ème dans les équations de Maxwell ? Quel algorithme, en l’absence d’Einstein, aurait posé l’hypothèse que cette constante était une vitesse limite de la matière, la vitesse de la lumière ? Comment l’intelligence artificielle aurait montré, en l’absence de Galilée, que la Terre tournait autour du soleil ? Comment l’intelligence artificielle aurait interprété la gravité ? Serait-elle encore à la place de Newton en train d’observer des milliards de pommes tomber pour enregistrer et apprendre comment elles tombent ? Comment l’intelligence artificielle pourrait interpréter les inexplicables 26 constantes physiques fondamentales qui laissèrent supposer à Stephen Hawking que notre univers pourrait avoir 26 dimensions ? Peut-on donner du pouvoir à une capacité de calcul massive qui ne peut rien comprendre des faits nouveaux rencontrés en chemin ? Mais surtout que devient « l’erreur » dans un monde soumis à l’algorithme ? Ces erreurs qui ont permis à tant de chercheurs de trouver ce qu’ils ne cherchent pas, et qui permettent à tant d’humains de se corriger de s’améliorer ? Que devient l’humain s’il ne peut plus faire d’erreurs ? L’intelligence artificielle, faute de conscience et faute de connaître l’erreur, n’est pas une intelligence, elle n’est qu’un outil.

Ce qui conduit Harari à révéler ce qu’il appelle « le grand découplage » de l’intelligence et de la conscience : « les hommes sont menacés de perdre leur valeur économique parce que l’intelligence est découplée de la conscience » ( « Homo Deus, une brève histoire du futur » – Y. N. Harari – p.334). Nous devrions comprendre qu’une intelligence sans conscience est une mort économique annoncée.

Un nouveau mariage

Si l’intelligence artificielle mariée aux biotechnologies et financée par le capitalisme prend le contrôle des complexités humaines et sociales, l’égalité biologique devenue chimère ne sera plus garante des égalités sociales. Ces dernières céderont face aux lois performatives des algorithmes. Par cette brèche s’installera, en particulier, une médecine de classe élitiste augmentée par le numérique en lieu et place d’une médecine sous serment d’Hippocrate. S’installera une nouvelle médecine avec un nouveau « contrat social ». Harari montre que ce processus est déjà amorcé avec une révolution conceptuelle de la médecine. « La médecine du 20ème siècle visait à soigner les malades. Celle du 21ème siècle cherche de plus en plus à optimiser les sujets sains » (« Homo Deus, une brève histoire du futur » – Y. N. Harari – p.373). Le transhumanisme s’installe petit à petit.

Le transhumanisme est le mouvement qui revendique l’adoption du nouveau mariage de l’intelligence artificielle aux biotechnologies. Il excelle à développer les sciences et les technologies numériques pour lutter contre la mort, la souffrance, la maladie, mais aussi le handicap physique ou mental et finalement à dessiner les contours d’un humain prétendument parfait. Et si le transhumanisme propose des conclusions politiques et philosophiques, il n’associe pas, au dessein de l’humanité, l’ensemble des cultures et des civilisations, l’ensemble des savoirs, l’ensemble des humains et des (autres) volontés politiques.

La posture du transhumanisme qui donne tous pouvoirs aux technologies numériques est prompte à produire un eugénisme bien plus féroce que celui des empereurs ou dictateurs de ces trois derniers millénaires. Le transhumanisme ouvre les portes de Gattaca. Ce nouvel eugénisme forge la sélection par la technologie, il est le moyen pour une nouvelle classe d’humains de s’arroger le pouvoir, de diriger le monde et de supplanter Homo Sapiens en lui faisant subir « ce que ce dernier à fait subir à tous les autres animaux » ( « Homo Deus, une brève histoire du futur » – Y. N. Harari – p.424 ). Finalement le transhumanisme pourrait faire subir à Homo Sapiens la disparition que Homo Sapiens a fait subir à Neandertal. Cette posture du transhumanisme écrase et ignore l’articulation nécessaire entre le contrat social et la vie biologique.

Voici donc en très raccourci ce que développe Harari dans ses écrits pour signifier le danger du transhumanisme et non pour l’adopter comme nouvelle doctrine, ce que fait sans vergogne Laurent Alexandre au prétexte généralement admis mais hautement discutable que « tout ce que peut la technologie arrive un jour ».

Yuval Noah Harari, né en 1976, historien et professeur d’histoire à l’université hébraïque de Jérusalem

Yuval Noah Harari, né en 1976, historien et professeur d’histoire à l’université hébraïque de Jérusalem

La richesse d’Harari est de nous interroger sur la fragilité de notre condition et de nous questionner sur cette nouvelle ère ouverte par un mariage du numérique à la biologie. Il baptise cette nouvelle ère « Homo Deus ». Pour lui, de multiples futurs pour différentes humanités sont possibles. La définition de notre humanité « actuelle » n’est pas si vieille, elle nous accompagne depuis le siècle des Lumières. Elle est rendue obsolète par l’émergence d’une technologie qui nous oblige à redéfinir ce que doit être notre humanité. L’homme devient Dieu. Homo Deus. La question qui nous est posée, et qu’Alexandre n’effleure pas d’un souffle, est donc : de quelle humanité voulons-nous ?

Une classe supérieure par son intelligence.

Malgré la mesure et la bienveillance d’Harari, Laurent Alexandre, sur le ton du millénariste, se lance dans une conjecture sans considérer la question de la nature de l’humanité. Il affirme un monde futur empreint d’intelligences artificielles où le « capitalisme cognitif », troisième du nom après le capitalisme vénitien et le capitalisme industriel, poursuit, sans questionnement, son hégémonie féroce. Pour Alexandre, le capitalisme décomplexé des grandes puissances internationales s’empare des technologies numériques et des biotechnologies au bénéfice exclusif d’une classe qualifiée de supérieure par son intelligence. Pour Alexandre, l’Europe, déjà à la traine, ne devrait plus tergiverser sur les questions de la morale, elle devrait se mêler à cette compétition transhumaniste et technologique. Alexandre accomplit ce que craint Harari.

C’est l’histoire de l’enfant qui découvre, stupéfait, en cassant une fragile vitre de cristal, que le cristal se casse. Il se casse dans la beauté de l’éclat qui produit mille fragments scintillants. L’enfant en déduit que c’est la nature du cristal de se briser ainsi, sa meilleure propriété, sa sublime nature.

Alexandre définit l’intelligence comme meilleure propriété de l’humanité, sublime nature qui a porté l’homme au sommet de la pyramide du vivant. Alexandre fait sienne la menace qu’Harari nous révèle. Pour Alexandre il y a bien deux mondes, les intelligents et les autres, les inutiles, à classer « dans un camp », en une hiérarchie, comme nous classons les espèces animale et végétale. Il en conclut, à tort, que le vrai défi à court terme de l’humanité est d’effacer « les inégalités de l’intelligence » avec le développement et la maîtrise de cette sublime intelligence artificielle… Pour Alexandre, c’est elle qui nous permettrait d’« effacer les inégalités intellectuelles ». Ce qui reviendrait à résoudre l’humain à une intelligence unique, optimisée, centralisée, gérée et distribuée, appliquée dans un complexe d’algorithmes devenu omniscient et autocrate.
Alexandre tombe dans le gros piège qu’Harari nous révèle, et je re-cite ici Harari : « Plus que du chômage de masse, nous devrions nous inquiéter du glissement de l’autorité des hommes aux algorithmes, lequel risque de détruire le peu de foi qui subsiste dans le récit libéral et d’ouvrir la voie à l’essor de dictatures digitales » ( « 21 leçons pour le 21ème siècle » – Y. N. Harari – p.61 ).

Les dieux de l’apocalypse

Alors le conférencier, en cette tribune Polytechnique, grossit son trait en qualifiant le « camp des inutiles », le camp des gens à l’intelligence limitée voire absente, en « camp des gilets jaunes ». Certains loueront un sens de l’opportunisme, un à-propos spectaculaire mais facile pour captiver l’auditoire. D’autres seront scandalisés d’entendre de telles paroles portées par un médecin… Car cet homme est médecin. De la République. C’est la richesse d’une République que d’éduquer ses propres ennemis. Laurent Alexandre, médecin, est co-fondateur de l’indispensable start-up Doctissimo, une start-up qui surfe sur l’émergence du juteux marché de l’auto-médication. Avec Doctissimo, Alexandre découvre la valeur de la « data » qu’il a collecté moyennant du blah-blah médical en ligne. Il a fait ce que nombre d’opportunistes font depuis l’an 2000 : avec des pseudo-sites web de contenus, collecter la donnée personnelle et l’eau de la donnée pour revendre le bébé au plus offrant. Manifestement, à l’ère des nouvelles technologies, la « conscience » du secret médical ne résiste pas face à la valeur pécuniaire des « data ».
Alexandre a vendu son bébé Doctissimo à Lagardère Active, la branche media d’un groupe qui vend des livres, dont ceux d’Alexandre. Lagardère appartient à la famille éponyme et au fond d’investissement de l’émirat du Quatar. Arnaud Lagardère et Laurent Alexandre sont tous deux fervents soutiens d’Emmanuel Macron… Que ce monde intéressé est petit.

Avec le trompeur Doctissimo, Laurent Alexandre, tel un joueur de flûte, a choisi de récolter les données d’une population qui, pour lui, ne vaut pas mieux qu’une population de gilets jaunes, une population de lemmings.

Le lemming est un petit rongeur écervelé qui pullule, qui ne contrôle pas ses naissances et qui sous le poids de sa stupide croissance tombe de sa falaise. Les lemmings sont devenus, malgré eux, les héros stupides d’un jeu video à succès dans les années 90/2000, un jeu où le but est de sauver un certain pourcentage de lemmings stupides et inconscients sur un parcours semé d’embuches mortelles. Alexandre a choisi le modèle du lemming pendant qu’Harari choisissait la méditation. L’un s’est enrichi dans une médiocrité numérique et marchande, pendant que l’autre refuse encore aujourd’hui l’utilisation du smartphone. Harari, en vrai historien pointe les dangers qui menacent l’humanité, tandis qu’Alexandre évangélise une masse de futurs dirigeants en brandissant l’apocalypse, et, comble de la bêtise, en révisant inconsidérément l’œuvre de Harari pour soutenir son propos. À Laurent Alexandre, je dis que si vous formez les humains à devenir les dieux d’une apocalypse, ils se feront dieux, trop heureux, en mettant tout en œuvre pour que s’accomplisse cette apocalypse.

Recentrons nous sur la question de l’intelligence. La thèse d’Alexandre rebondit sur l’émergence de l’intelligence artificielle, qui, selon lui, est la seule intelligence capable de gérer la complexité du monde : seule une élite hautement intellectuelle serait capable de gérer, de créer et de faire progresser l’humanité dans un monde farci d’intelligences artificielles.

« Millionnaires en dollars »

Le conférencier est autoritaire, l’élite intellectuelle, « c’est vous, étudiants dans cette salle qui managerez ce monde » ( ne lisez pas « mangerez ce monde »). Étudiants de cette grande école Polytechnique, c’est vous qui serez sauvés… « Les inutiles sont des gilets jaunes » avec lesquels « il faudra en finir d’une manière ou d’une autre ».

Pour faire dans le concret, face aux jeunes cerveaux d’étudiants, il insiste en expliquant que « cette affaire des gilets jaunes, nous en avons pour cent ans ». Le tarif horaire d’un gilet jaune baissera inexorablement jusqu’à devenir nul, alors que le tarif journalier des ingénieurs d’élite s’envolera tout aussi inexorablement pour atteindre des sommets encore jamais atteints. Et « vous, polytechniciens, vous ne serez millionnaires en dollars que si vous devenez experts en intelligence artificielle ».

C’est dit.

Là, il a gagné l’auditoire.
Il suffisait d’employer l’argument vertueux du capitalisme, l’enrichissement personnel comme moteur économique et social. C’est la bonne vielle recette publiée par Adam Smith en 1776 dans « La richesse des nations », précepte enseigné comme doctrine dans toutes les grandes écoles du grand monde, à savoir que « la pulsion égoïste qui pousse l’homme à accroître ses profits est la base de la richesse collective » ( « Sapiens » – Y. N. Harari – p.365 ). Ici, Laurent Alexandre somme les étudiants d’investir l’intelligence artificielle pour enrichir la collectivité et pour faire d’eux la nouvelle classe dirigeante à l’ère du transhumanisme.

Aider les gilets jaunes.

Au défi de l’enrichissement personnel, Laurent Alexandre ajoute un défi social : par tous les moyens il faut « aider les gilets jaunes » à devenir intelligent. « Aider les gilets jaunes » à sortir de la bêtise. Voila le message humaniste de Laurent Alexandre, la noble voie. Telle est la mission du polytechnicien du troisième millénaire, telle est la recette de sa réussite. Il faut aider pour « éviter de multiplier les gilets jaunes » (sic!), car la civilisation « ne pourra pas survivre si on multiplie les inégalités intellectuelles ». Finalement Alexandre propose à ces étudiants de jouer aux Lemmings avec les gilets jaunes, en perdre le moins possible telle est la mission. Dans le jeu, la couleur des Lemmings étaient le jaune, ça ne s’invente pas.

Mais comment réduire les inégalités intellectuelles ? L’école ?
Non, l’école en prend pour son grade, car, Alexandre l’affirme, « nulle part sur Terre, il n’y a aucune étude qui ait prouvé que l’école soit capable d’augmenter le QI ». Offrons ce remarquable propos en sujet de dissertation pour les Cahiers Pédagogiques ou le blog des stylos rouges.

Le QI.

Oui, car, qui dit intelligence artificielle, dit quantité d’intelligence. Le numérique est capable de gérer, en toute autonomie, la quantité massive d’information qui devient trop complexe pour le cerveau humain, quantité si massive que l’esprit humain croit voir en cette masse une profondeur intellectuelle. Qui dit Quantité d’Intelligence dit QI, c’est le raccourci transhumaniste de Laurent Alexandre. Nous ne devrions pas nous amuser avec cet acronyme homonyme, car l’usage qu’en fait Alexandre n’est pas drôle. Pour lui, non seulement l’école républicaine est « nulle en QI », mais en plus « l’école ne sait pas diminuer les inégalités intellectuelles »… Pas mal non plus, comme sujet de disserte.

La caution de la République En Marche
Faites de la politique

Réduire les inégalités intellectuelles, voilà ce qu’il faut apprendre à faire en 2019. Le conférencier ne se pose plus de question, il entérine la soumission de l’humanité à l’hégémonie d’une technologie croissante, puissante et numérique : c’est à nous, ou plutôt à « vous » l’élite polytechnique de ce pays, de réorganiser les structures éducatives, culturelles et sociales pour épouser cette inexorable évolution sans se laisser déborder par les chinois ou la Silicon Valley. Et Laurent Alexandre en vrai prédicateur, donne son ultime conseil à ces élèves ingénieurs numériques bientôt augmentés, il leur souffle, comme s’il s’agissait du chaînon manquant de sa conférence : « Faites de la politique ».

Nous pouvons nous insurger d’un tel travers intellectualiste. Lire les trois tomes d’Harari nous permet de démonter l’argumentation de cet orateur. Mais il est révoltant d’entendre de telles prédications proclamées au sein d’une grande école de la République, une conférence cautionnée par une représentante du parti gouvernemental, Amélie de Montchalin. Parce que ce ne sont pas n’importe quels personnages politiques qui donnent du crédit à ces prédications eugénistes. Ici, la personne est jeune, formée au numérique, et notre conférencier Alexandre a pris soin de louer cette femme politique, Amélie de Montchalin, « de très haut vol qui fait partie de cette génération d’hommes (sic!) politiques qui sont parfaitement adaptés à la gestion des défis technologiques et politiques qui arrivent », en clair une pure représentante de la fameuse « Start-up nation ». Alexandre la distingue de la plupart des politiciens qui, dit-il sur un ton haineux, sont « des burnes en sciences, des burnes en techno, des handicapés du mulot »(sic!) ( 21‘16“ ). Le plus terrifiant est d’entendre, par ailleurs, un Premier Ministre, Édouard Philippe, sur le plateau de LCI, le 14 février 2019, s’abriter derrière l’excuse de la complexité pour faire face à Ingrid Levavasseur qui l’accuse d’être déconnecté du problème des déserts médicaux. Brandir l’épouvantail de la complexité est une ruse politique pour tenir le citoyen à distance du pouvoir, car la complexité sous-entend, comme le pense Alexandre, que de simples gilets jaunes peu éduqués seraient incompétents à résoudre les problèmes du monde. Alors, les inégalités intellectuelles justifieraient le mépris de classe qui arme nos représentants politiques. Le mépris de classe est en droite ligne avec les principes du transhumanisme, il orne, depuis la Renaissance, le discours bourgeois sectaire et raciste sur lequel c’est assis le développement moderne du commerce mondial.

Un poison politique qui tue le vivant

Le transhumanisme, tel qu’il est traité ici, est un aboutissement d’une pensée néo-libérale. La puissance de l’argent et la puissance corollaire de sa classe bourgeoise, ont édifié, depuis la fin du 15ème siècle occidental, un monde capitaliste. Cognitif ou pas, ce capitalisme est de même nature, il est eugéniste. L’eugénisme a nourri ce monde depuis la Renaissance à travers le commerce colonial puis triangulaire, l’impérialisme, le nazisme et sa Shoah, la guerre froide, le post-colonialisme et son tiers-mondisme, le néo-libéralisme et maintenant le transhumanisme, sans que jamais cette trajectoire infernale du capitalisme ne soit remise en question. Ce monde a écrasé des peuples et des cultures au nom de ses principes, toujours l’eugénisme social et religieux servant sa cause. Il ne s’est jamais arrêté de construire des armes pour enrichir les populations occidentales et détruire des pays sacrifiés qualifiés de sous-développés ou de révolutionnaires. Il a tout industrialisé jusqu’à l’épuisement. Il a concentré les richesses sur une caste de plus en plus étroite qui, aujourd’hui, répand la terreur sur le vivant à grands coups de manipulations génétiques et numériques. Au nom d’une nécessaire rentabilité, il a détruit, en une poignée de siècles, des éco-systèmes que le vivant a construit sur des millions d’années, il piétine à mort des espèces animales et végétales, il détruit la complexité du vivant au nom d’une pseudo-complexité politique et technocratique. Le Glyphosate est aujourd’hui son emblème, un poison politique qui tue le vivant, sur lequel il a déposé son brevet afin que d’autres ne puissent s’enrichir à sa place, il s’arroge le monopole, le droit de vie et de mort du vivant, le droit de décider du bon vivant et du bon mort… toujours en s’habillant des meilleures intentions individuelles, toujours pour sauver ou nourrir le monde, et toujours en proférant que ce système bien qu’imparfait serait, de tous, le moins pire.

L’eugénisme est le fondement de ce capitalisme. Le capitalisme a construit un monde qui fonctionne par la monnaie, qui appartient à la monnaie et qui est gouverné par l’engeance possédante créatrice de la monnaie, la bourgeoisie. Quelque soit sa religion. Et le pire qui puisse arriver selon Harari mais qui n’inquiète pas Laurent Alexandre, serait que cette eugénisme perdure à l’ère d’un monde massivement gouverné par le numérique et la manipulation des données.

Symptôme éloquent : les religions ont fait une piètre apparition à cette conférence. Deux « intellectuels religieux », l’un juif, l’autre catholique (pas de musulman ?), étaient sur le plateau pour un débat conclusif. Tous deux ont semblé quelque peu gênés et leurs propos ont cherché à tempérer, en vain, l’autoritarisme du prédicateur. Les interventions religieuses n’ont fait que cautionner la cause en tentant de bricoler une morale humaniste héritière de l’Homo Sapiens, pendant qu’Alexandre, fier dans un costume d’Homo Deus trop grand pour lui, répondait vers le public en remarques démagogiques.

Comment les humains améliorés traiteront le reste d’entre nous ?

Revenons sur Terre. Soyons prosaïques. Les propos entendus ce lundi 14 janvier 2019 à l’École Polytechnique, cette doctrine enseignée est contraire aux droits de l’homme et s’inscrit dans un registre anticonstitutionnel. Cette doctrine développe l’idée que l’humanité est faite de deux engeances, l’une supérieure à l’autre, l’une plus autorisée que l’autre à gouverner. Si ce paradigme fonde des religions, il n’a pas sa place en République. Cette doctrine est un crime, elle donne plus de droit à une classe d’humains, plus de légitimité, et conclut sur le fait que l’une doit gouverner et que l’autre doit s’effacer, ou plutôt doit être effacée, au mieux soignée, au pire parquée, proscrite et persécutée jusqu’à l’extinction pour supprimer la nuisance de sa médiocrité intellectuelle. De tels propos glacent le sang lorsque, de plus, ils sont adoubés par une députée de la République. La thèse d’Alexandre est l’exemple du danger que Harari dénonce : « Le traitement que les humains ont réservé aux animaux jusqu’ici est un bon indicateur de la façon dont des humains améliorés traiteront le reste d’entre nous » ( https://www.ynharari.com/fr/book/homo-deus/ – Y. N. Harari – consulté le 5 mars 2019 ).

Les instances parlementaires démocratiques de la République doivent réagir pour condamner ces dérives orchestrées par une classe doctrinaire, déconnectée, sise au plus haut sommet de l’État. Tant que les instances ne réagiront pas, le peuple se manifestera. Alexandre n’a raison que sur un point, la lutte des gilets jaunes n’est pas terminée. Et si Alexandre vous propose de vous donner ce que vous souhaitez, répondez-lui, tel le cynique Diogène, « Ôte-toi de mon soleil ! ».

Sources :

« Tables rondes du plateau de Saclay » du 14 au 18 janvier 2019 – Conférence de Laurent Alexandre

« Sapiens » – Y. N. Harari – Éditions Albin Michel

« Homo deus – Une brève histoire du futur » – Y. N. Harari – Éditions Albin Michel

« 21 leçons pour le XXIe siècle » – Y. N. Harari – Éditions Albin Michel

La grande Explication – LCI – Édouard Philippe face à dix français le 14 février 2019

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La tentation du darwinisme social par Michel Husson, merci à Marc Tertre

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